Destination : 5 , Si on s'écrivait ?


Ne m'oublie pas

Chère amie

Je suis émue, émue jusqu'aux larmes par ta lettre arrivée à moi
comme par miracle.
Je ne t'avais pas communiqué mon adresse, mais tu t'es inquiétée de
moi et tu es arrivée à me toucher.
Je voulais faire ce voyage comme on fait un pélérinage, partir et
écrire.
Ecrire d'ici, l'intemporel ailleurs,
Le lieu aimé perdu comme disparu,
Les visages qui se voilent puis s'effacent,
Les voix qui chuchotent puis s'éteignent,
Les images qui se superposent puis disparaissent,
Le bruit des pas qui s'éloignent,
Les barreaux,
Les fenètres,
Les rideaux,
L'opacité.
J'écris, ma force contre le poids des années.
J'écris aux aguets, j'attends le retour, la reminiscence de ces
êtres qui ont habité mon lieu, rendu magique par la mémoire qui
brode.
Ils seront tous là, je le sais, ils se remettront à bouger, à
vaquer à leurs besoins comme si le temps n'était pas venu frapper à
leur porte.
Par la fente de la porte entrouverte, je les reverrai, elles, ces deux
soeurs si âgées que j'ai tant aimées , l'une et l'autre assises
chacune sur une chaise basse.
Comme d'habitude, elles se réveilleront avec la prière du petit
matin.
Comme d'habitude, elles accompliront leur devoir, recommenceront
le rituel du café, elles viendront me réveiller, m'apporter le mien
au lit et je ferai semblant de dormir.
Décidément, je me plais ici.

Chère amie, ne m'attends pas, un livre ne s'écrit pas d'une traite,
pour celui-là du moins, je prendrai mon temps.
Toi qui me sais nostalgique du temps révolu, je sais que tu me
comprendras;
Ecris-moi! ne m'oublie pas.

Ameline