Destination : 17 , Le journal d'Ateliériste jones


L'opératrice

28/10


Bonne journée, mon chef avait l’air content, nombre appels pris : 58, ventes: 17, taux de retrait : 20%, taux de traçage : 86% ! je viens de rentrer, me suis jetée sur mon lit, suite à un étourdissement dans le métro. Tension prise : 9/6, j’ai intérêt à me reposer, ce soir pas de sortie, je ne suis plus là, je décroche le téléphone, ça va comme ça, on peut comprendre que j’ai envie d’oublier mon outil de travail !



Et si cette emmerdeuse de Lily appelle, tant pis. JE DORS.





29/10



Je suis sortie avec Lily, elle s’est encore fait draguer, quand je suis avec elle, c’est pas possible je deviens transparente, l’avantage est que je ne suis pas harcelée par les mecs ! on ne voit qu’elle, avec son gros cul, 1m de large facile, et puis ses yeux de poisson, immenses mais toujours à moitié fermés, l’air de toujours être sur le point de tomber dans les pommes , il paraît que ça leur plait aux hommes ce côté évanescent !



D’accord, je suis méchante mais c’est plus fort que moi, j’adore Lily, mais elle est vraiment trop !





05/11



35 appels, 2 ventes, 8 clients agressifs, 2 raccrochés au nez, 1 pause de 10 minutes, 45% de temps de retrait.



J’aurais pas dû m’énerver, surtout avec celui qui m’a dit texto : " on sait bien que vous êtes plus souvent devant votre machine à café qu’en train de travailler. "Attend mais le mec il doit regarder tous les soirs caméra café à la téloche pour croire qu’on y passe notre vie ! Pourquoi relever des conneries pareils, quand on sait qu’on a juste 10 minutes de pause - que je ne prend même pas si je veux arriver à faire mes chiffres - et que le reste du temps on répond à leurs appels, sans interruption, avec 5 secondes de silence entre 2 " allo " dans le casque, ce putain de casque qui nous compriment les oreilles au point que le soir je les ai toute engourdies. Du coup rien que d’y repenser ça me donne envie de fumer, pour une fois que j’avais réussi à m’arrêter !



Ah que c’est bon de fumer ! FUMER TUE : c’est écrit sur le paquet, non mais quelle époque absurde ! pourquoi vendrait-on un produit qui tue, si c’était le cas fabriquerait-on des cigarettes, continuerait-on à cultiver le tabac ? n’importe quoi vraiment !





6/11



42 appels traités, 0 ventes, 35% de temps de retrait, 72% de taux de traçage, 7h12 de casque et de voix dans mon oreille, des douces, des vieilles, des méchantes, des charmantes, des stridentes, des moches, toute sortes de voix sur lesquels je m’empresse de mettre un visage ; mais mon imagination me jouera des tours. La semaine dernière, j’ai eu un client charmant avec qui j’ai engagé la conversation après avoir réglé son problème. Enfin, c’est plutôt lui qui a commencé à me draguer, mais tellement l’air de rien que je ne l’ai pas vu venir. On s’est mis à discuter comme de vieux amis, il était très sympa, et j’aimais bien son accent, sa voix, sa façon de parler. Bref, il m’a rappelé le lendemain pour me proposer un rendez-vous, comme ça, pour continuer à discuter. J’ai accepté ! quelle conne, si je raconte ça à Lily, qu’est-ce qu’elle va me passer !



C’est demain le rendez vous ! je pense que je vais me dégonfler, j’ai trop peur…





7/11



Ben voilà, j’y suis allé bien sur, la curiosité est mon plus gros défaut. En fait j’ai appelé Lily avant et c’est elle qui m’a incité à m’y rendre, voilà c’est de sa faute ! et le résultat est là : je me suis retrouvée devant lui, incapable d’articuler un mot tant sa laideur n’avait d’égal que la douceur de sa voix, j’ai juste dit ah pardon, mais vous êtes moche ! et je suis partie en courrant. Quelle idiote, ça m’apprendra à me méfier des jolies voix.









4/12



40 appels pris, 3 ventes, 2 engueulades, 5 minutes de pause avec Esther qui me raconte ses problèmes de prime qu’elle aurait dû toucher, (et pourquoi Josiane l’a eu et pas moi) 1h à la cantine à médire sur Odile qui n’est jamais là (mais où est-elle, entre son temps partiel, ses détachements syndicaux, et les jours où sa fille est malade on la voit jamais et blablabla quesque ça peut te faire ?) et l’autre anorexique toujours à chipoter dans son assiette avec un air de dégoût, (penser à éviter de me mettre à coté d’elle les autres jours).



A l’heure de migrer vers la cafétéria je sais pas ce qui m’a pris, je suis sortie en courrant : de l’air, de l’air, DE L’AIR !



L’après midi, les heures ont passées, dans le brouhaha habituel, et puis il y a eu la convocation au bureau de la chef , c’était vraiment pas le jour, mais bon, autant que tout arrive en même temps :





- " Tu fais pas tes chiffres, ce mois-ci tu ne vas pas atteindre tes objectifs, il faut te ressaisir. "





Voilà en gros ce qu’elle m’a dit la chef. J’ai dit oui, je vais essayer, et j’ai remis le casque sur mes oreilles.





Ce soir, je vais en boite, sans Lily, elle me porte pas chance celle là, alors j’y vais seule, mais j’espère bien rentrer accompagnée. On verra bien, le principal est que j’oublie mes soucis.



Cathy