Destination : 98 , Destination secrète.


L'art des éléments captieux

Odile est une femme sublime. Vraiment sublime dans sa robe moulante, elle séduit le serveur du restaurant qui prend la commande. Elle souhaite une entrecôte saignante et des frites dorées - elle insiste sur ce dernier point. Ni trop blêmes, ni trop hâlées, elles doivent être dorées, uniquement pour le perturber, lui, qui s'applique à prendre note sur son petit calepin blanc. Sous les gloussements d’Odile et de Sylvie, le jeune homme reprend la carte des menus, puis, encaisse l’addition de la table voisine. Après leurs cafés, le couple jouxtant Odile et son amie se lèvent et quittent le restaurant laissant leur facture dans la coupelle. Aussitôt, Odile s’en saisit, laissant glisser le pourboire dans un léger tintement.
- Pourquoi prends-tu leur note ? demande Sylvie
- Pour inscrire un numéro de téléphone avant de l’oublier, répond Odile en cherchant un stylo.
- Quel numéro ?
- Ca, c’est mon secret, murmure-t-elle en écrivant, avant de glisser le papier dans sa veste.

En sortant du restaurant, Sylvie et Odile se quittent Boulevard des Italiens. Sylvie s’engouffre dans la bouche du métro, et Odile continue à pied. Elle veut se fondre dans Paris, moins contraint dans la nuit. Elle travestie un moment sa solitude passagère en liberté retrouvée. Elle progresse jusqu’à une foule posée. Elle s’infiltre dans la masse, aimantée par le désir de se cloîtrer dans une salle de cinéma. Elle aussi, pour s’échapper, elle doit s’enfermer. Au hasard, elle achète un ticket et rentre dans une salle obscure. Pendant la séance, elle s’endort. Le film est très mauvais.

Deux heures plus tard, elle interpelle un taxi. La course dure à peine dix minutes jusque chez elle. Elle reste silencieuse, réconfortée par le cuir du siège et la radio en sourdine. Avant de sortir sa clé devant la porte blindée, elle s’empare du portable à carte qu’elle a acheté dans l’après-midi, et envoie un sms.

Après avoir retiré ses chaussures à talon, elle pénètre dans l’appartement endormi. Les seuls bruits qu’elle entend sont les ronronnements du chat et du frigidaire dans la cuisine. Elle pose sa veste sur une chaise et se sert un verre d’eau à l’évier pendant que le vieux matou, soudainement réveillé, se frotte à ses mollets. Quand elle se retourne, son mari, appuyé à l’embrasure, l’examine en silence. Il porte le bas de pyjama gris qu’elle aime tant, le torse nu. Les cheveux en bataille et le visage miné, il commence d’une voix rauque :
- Tu rentres tard !
- J’étais avec Sylvie, je ne t’avais pas dit que je dînais avec elle ?
- Et tu mets cette robe pour voir Sylvie ?
- ….
- Tu étais avec elle jusqu’à maintenant ?
- Ensuite, j’étais au cinéma
- Ah, bon ? Voir quoi ?
- Je ne sais plus. Un film pas terrible.
- Toute seule ?
- Ben, oui. C'est un interrogatoire ?
- Tu as des cigarettes ? demande-t-il après un soupir
- Dans la poche de ma veste, je crois. Ca s’est bien passé cette réunion de travail avec ta collègue, Anasthasia, c’est ça ?
- Je suis rentré tôt. Quand tu m’as dit que tu sortais aussi, ça m’a surpris. Qu’est ce que c’est que cette note de restaurant ? Et ce numéro de téléphone ?
- Quelle note ? Je te l’ai dit, j’étais au restaurant avec Sylvie.
- Tu manges des huîtres, maintenant ? Du champagne, pourquoi ? Caprice d’amoureux pour deux, qu’est ce que c’est ? Et ce numéro de téléphone ? demande-t-il en montrant la facture
- Oh, tu m’en poses des questions ! Je ne sais pas, j’ai du me tromper de facture. Le numéro, c’est celui d’un copain de lycée que j’ai croisé aujourd’hui. Il est toujours très amusant, mais il a gardé aussi ses boutons d’acné et son cheveu sur la langue. Tu veux vérifier ?
- Sais-tu que ton portable a sonné il y a deux minutes ? Tu as fait exprès de l’oublier pour que je ne puisse pas te joindre ? Tu as eu tort parce que tu as reçu un sms ! Oui, un sms qui disait : « merci » ! Merci de quoi, Odile ? De qui ?
- Je ne sais pas, la personne a du se tromper. Tu lis mes messages ?
- Odile, si tu vois quelqu’un en secret, dis-le moi !
- Mais, qu’est-ce que tu racontes ? Je t’ai dit ce que j’ai fait de ma soirée.
Il s’approche de sa femme et commence à l’enlacer
- Je t’aime, Odile ! ajoute-t-il Je ne veux pas croire que tu as quelqu’un d’autre. Je t’aime.
- Moi aussi, Jean ! Moi aussi ! murmure-t-elle pendant qu’il l’entraîne sur le canapé. Si tu savais…

Cathy-Laure