Destination : 160 , Monfils ma bataille


Contes cruels

Quand l'usine de farces et attrapes ferma définitivement ses portes, Léo se retrouva au chômage et sa femme le quitta. Elle partit, un matin d'hiver, en Amérique du sud avec un bellâtre au sourire velouté et à la dent étincelante, laissant son fils Hansel et sa fille Gretel, complètement désemparés. Leur vie devint très différente, surtout lorsque leur père leur présenta sa nouvelle amie, Rosa. Le frère et la sœur détestèrent immédiatement cette femme qui parlait fort avec une cigarette coincée en permanence au coin de sa grande bouche au rouge à lèvres débordant.

Rosa vivait dans un mobile-home à la périphérie de la ville et quand Léo ne put plus payer son loyer, elle les accueillit, lui et ses enfants, dans son home pourri qui sentait un mélange de mauvaise friture et de parfum de chiottes.

Rosa déclencha les hostilités en donnant des surnoms ridicules aux enfants. Dès le matin, elle braillait de sa voix éraillée :

― Debout, tout le monde! "Sans-sel", fait chauffer le lait et "Bretelle" prépare le café!

Et elle se tordait de rire, fière de sa trouvaille. Leur père, silencieux, dans son coin, le regard trouble, cuvait sa cuite de la veille et n'était plus bon à rien.

Hansel et Gretel n'allaient plus à l'école et ne voyaient plus personne, perdus dans cet immense terrain vague où l'on apercevait parfois des individus à la mine louche qui échangeaient, sous le manteau, de mystérieux petits cadeaux empaquetés.

Une nuit qu'ils ne dormaient pas, l'estomac tiraillé par la faim car la soupe de pain rassis trempé dans de l'eau chaude ne les rassasiait plus, ils entendirent une étrange conversation.

Rosa parlait de se débarrasser des enfants qui leur coûtaient trop cher et leur père, dans un piteux état, sanglotait en disant qu'il aurait espéré un avenir meilleur pour ses petits mais que ce monde était trop dur et qu'il n' y avait pas d'autre solution.

Dès le lendemain, après le rituel matinal du petit-déjeuner, Rosa annonça aux enfants qu'ils allaient partir en vacances. Un ami lui avait prêté une vieille R12 rafistolée dont les portières ne fermaient plus et qui affichait 350 000 km au compteur. Hansel et Gretel ne posèrent aucune question. Ils savaient ce qui les attendait et ça ne pouvait pas être pire que ce qu'ils vivaient dans ce trou à rats.

Après un démarrage laborieux, l'auto accepta de s'élancer, secouant Hansel et Gretel, obligés de se tenir fermement l'un à l'autre car l'absence d'amortisseurs les bringuebalait et les courants d'air glacés se faufilaient par les portières mal fermées. Au volant, Rosa, très gaie, fredonnait des chants paillards. Léo ne s'était même pas réveillé et ne les avait pas vus partir.

Après quelques heures de route, dans un paysage désolé et solitaire, Rosa gara la R12 à l'orée d'une forêt et s'égosilla :

― C'est ici ! Tout le monde descend !

Les enfants ne furent pas surpris, à peine sortis de la voiture, de la voir repartir aussitôt, dans un fracas de métal inquiétant, accompagné du rire cynique de Rosa, ravie de leur jouer ce mauvais tour. L'auto disparut au loin , dans un nuage de fumée noire.

Hansel et Gretel, seuls, face à leur destin, se donnèrent la main et s'enfoncèrent dans la forêt. Ils marchèrent pendant de longues heures et, au crépuscule, quand le soleil qui dessinait des raies lumineuses, du hauts des grands arbres, disparut, ils finirent par trouver une maisonnette au beau milieu des bois. La cheminée fumait et cela les réconforta. Ils espéraient trouver refuge dans cette jolie cabane qui ressemblait à un petit bonheur au cœur de leur désespoir. Hansel cogna à la porte et celle-ci s'ouvrit sur une vieille femme souriante qui, avant même qu'ils aient eu le temps de parler, les invita à entrer:

― Je sais, vous êtes perdus, vous avez froid et faim. Ca tombe bien, je viens de faire un pain d'épices.

C'était une petite maison de poupée! Il y faisait bon et l'odeur du pain d'épice donnait envie de pleurer de plaisir! Dans la cheminée, il y avait un grand chaudron suspendu dans lequel cuisait une bonne soupe de légumes. La grand-mère leur dit qu'ils pouvaient rester dormir et qu'après avoir repris des forces, ils repartiraient quand ils le voudraient. Elle leur dit aussi qu'elle ne pouvait pas les voir car elle était aveugle depuis longtemps mais qu'elle sentait très bien les choses et que cela valait aisément une paires d'yeux. Les deux enfants passèrent une belle nuit peuplée de rêves bleus.

Mais , malheureusement, au petit matin, le rêve se changea en cauchemar. Hansel, qui avait dormi d'un sommeil de plomb, n'avait pas senti que la vieille femme l'avait soulevé dans ses bras et enfermé dans une cage. Il fut réveillé par les pleurs de sa petite sœur qui le regardait, à travers les barreaux. La vieille femme fut secouée d'un gros ricanement qui leur rappela celui de Rosa. Subitement, elle paraissait moins sympathique et d'horribles détails, comme des poils sur son menton, furent soudain très visibles.

― Je vais bien te nourrir, dit-elle, et quand tu seras gras à souhait, je te ferai rôtir dans la cheminée comme un petit cochon de lait. J'adore le cochon de lait! Ah! Ah! Ah!

Gretel fut chargée de toutes les tâches difficiles, comme aller chercher de l'eau à la rivière dans un seau très lourd pour préparer des repas nourrissants à son frère qui se mit à devenir aussi gras qu' un goret. Quand, au bout de quelques jours, la sorcière demanda à Hansel de lui tendre un doigt afin de le palper et mesurer à quel point il avait grossi, celui-ci lui tendit un os qui traînait dans sa cage. Mais la vilaine femme ne fut pas dupe et comprit le stratagème. Aussitôt, prise d'une colère noire, elle décida de faire cuire le garçonnet sur le champ.

Elle demanda d'abord à Gretel de tester si l'eau dans le chaudron suspendu en permanence dans la cheminée était assez bouillante en se plongeant dedans. Gretel, pas si sotte, comprit qu'il y avait un piège et, de sa petite voix naïve demanda :

― Comment fait-on pour entrer dans le chaudron ?

Agacée et pestant, la rombière fit mine d'enjamber le chaudron en disant :

― Petite empotée, tu n'es pas bien dégourdie, c'est pourtant simple, tu n'as qu'à faire comme ça !

C'est alors que Gretel lui envoya un bon coup de pied dans le derrière qui l'a fit plonger, la tête la première, dans le bouillon. L'horrible sorcière n'eut pas le temps de dire ouf, qu'elle commençait déjà à mijoter.

Gretel délivra aussitôt Hansel, et les deux enfants prirent leurs jambes à leur cou pour s'enfuir le plus loin possible de cette horrible maison.

Ils se jurèrent de ne plus faire confiance à n'importe quelle grand-mère qui fait du pain d'épices et de ne jamais vivre dans un mobile-home perdu dans un terrain vague.





Fabinuccia