Destination : 139 , Le cimetière des livres d'Ailleurs


La madeleine d'Aymé.

Je suis le gardien du cimetière des livres oubliés.

Chaque jour, dans la lumière tamisée et dans le silence de ce sanctuaire,

je déambule inlassablement dans les allées, parmi les rayons de livres.

Je les époussette, les remets en place, corrige leur alignement.

Lorsqu’un livre a été oublié sur une table, j’aime supposer qu’il n’a pas été oublié là par hasard et je lui prête une attention particulière, essayant d’y voir un signe du destin.

Ce jour-là, tout était en place. Je m’apprêtais à éteindre la lumière et à sortir pour fermer la lourde porte jusqu’au lendemain matin, lorsqu’une forme sombre sur les dalles claires arrêta mon regard. Il s’agissait d’un livre tombé du rayon le plus bas. Je ne sais pourquoi je ne

l’avais pas remarqué en faisant mon tour, mais il était bien là, gisant sur les dalles.

Je le ramassai, le cœur battant, me demandant quelle surprise le destin me préparait.

C’était un livre ancien, relié de cuir brun, d’aspect modeste.

Lorsque je l’ai ouvert, je tremblais un peu.

Et puis j’ai lu le titre : « Les contes du chat perché » de Marcel Aymé.

Ma vue s’est troublée par des larmes d’émotion que je n’ai pu maîtriser.

Mon enfance sur les bancs d’école. Le livre de lecture et les dictées au porte-plume.

L’odeur de l’encre et cette fabuleuse ferme de Delphine et Marinette. Tout revenait.

Soudain, tous ces animaux qui ont accompagné mon enfance étaient là,

Le sanctuaire des livres est devenu une vraie ménagerie.

Le chat Alphonse qui passait sa patte derrière l’oreille pour faire venir la pluie,

Le chien aveugle, le canard et la panthère, l’âne et le cheval, les cygnes, le petit coq noir,

les vaches, le paon, la buse et le cochon et même l’éléphant qui prenait une place folle.

Tout ce petit monde se retrouvait avec bonheur.

Ce soir-là, je ne suis pas rentré chez moi. J’ai passé la nuit à aller de l’un à l’autre.

A écouter les aventures de chacun, chaque histoire réveillant un souvenir d’enfance enfoui dans ma mémoire.

C’était une soirée magnifique. Tout le monde se retrouvait avec plaisir. Chaque évocation était très drôle. Nous partions facilement dans des fous rires incontrôlables et il arrivait même que l’on pleure de rire. Une joyeuse cacophonie qui dura toute la nuit…

Au petit matin, je me suis réveillé, seul, dans le silence et la lueur bleutée du jour.

J’étais assis à une table, la tête posée sur le livre ouvert.

J’ai refermé doucement ce trésor de Marcel Aymé avec un gros soupir et le sourire aux lèvres.

Fabinuccia