Destination : 163 , Au pays du soleil levant


Le rêve de Yoko

Les nuages moutonnent

Chassés par le vent coquin

Ils broutent les étoiles



Yoko a 17 ans. Elle est l’ainée d’une fratrie de cinq enfants et c’est à elle que revient la responsabilité d’emmener chaque jour ses frères et soeurs prendre l’air dans le vaste parc qui longe la grande pagode située au bout de la troisième rue après l’école. C’est souvent lorsque la lumière du jour tire discrètement sa révérence que les enfants demandent à regagner la maison. Yoko, réalise alors combien elle souhaiterait prolonger la sortie. Elle aime particulièrement être témoin des précieuses minutes où la nuit vient poliment chasser le jour en un doux fondu enchaîné. Mais elle doit rentrer aider sa mère à préparer le repas et activer la toilette des petits.

Ce soir Yoko a osé contourner la règle et se relever. Dans le grand calme de la maison endormie, elle est sortie sans faire de bruit pour observer la magie de la nuit. Yoko se sent l’âme vagabonde.



Sur le terrain noir

Les planètes jouent au ballon

Les étoiles arbitrent



Yoko se souvient : Il y a plusieurs années de cela, elle était tombée en admiration devant un grand maître de calligraphie. Elle avait trouvé fabuleux de le voir ainsi faire danser ses pinceaux et était restée un long moment à l’observer. À l’issue du ballet, Yoko, fascinée, avait minutieusement examiné les idéogrammes en se disant qu’elle aimerait tant elle aussi, un jour… Depuis, cette idée l’a fidèlement accompagnée. Pas une journée sans qu’elle n’y ait pensé…

Demain Yoko a un rendez-vous important. Elle rencontre Maitre Oshima . Elle n’a pas encore trouvé le moment opportun pour en parler à ses parents. Et puis, de toutes façons, elle préfère que la première rencontre ait eu lieu avant d’aborder le sujet avec eux. Inutile de les tracasser si le Maitre ne donne pas suite à ce premier entretien.



Pinceau ivre d’encre

Pose sur le papier de riz

De subtiles volutes



En silence Yoko regagne la maison. Il lui faut dormir maintenant. Demain est un grand jour. Avant de s’allonger sur le futon, elle regroupe ses précieuses affaires dans un petit sac en soie brodée. Les trois pinceaux "fude" fabriqués avec des poils d'animaux, de différentes flexibilité et dureté pour pouvoir varier l'épaisseur du trait ; la pierre à encre "suzuri" faite à partir d'ardoise et servant à la fois de support pour la préparation de l'encre et de réservoir ; et le papier "hansi", nettement plus fin que le papier usuel, avec un côté absorbant et l'autre légèrement brillant. Plus tard, si elle parvient à progresser suffisamment, elle s’offrira un élément important, le sceau, "hanko", qui est utilisé avec une pâte rouge et avec lequel le calligraphe signe son œuvre. Mais Yoko ne souhaite pas brûler les étapes. Pour l’instant et si le Maitre l’accepte comme élève, elle commencera par des rangées de traits, horizontaux, puis verticaux... avant de passer, si le Maître estime que ses traits sont suffisamment expressifs, à quelques caractères simples. Yoko doit cultiver la patience…

Réguler son souffle

Pour faire jaillir l’émotion

Et l’encre se pose



Yoko le sait, la calligraphie est un retour à la simplicité, dans le calme et la détente. Le but, en calligraphie japonaise, n'est pas de recopier parfaitement un modèle. Au-delà des techniques de base et de l'art graphique, la calligraphie peut s'exprimer aussi bien dans l'espace occupé sur le papier, dans la position des caractères, dans l'énergie donnée à l'écriture. Le caractère est produit en un souffle, c'est à dire en quelques secondes, et sans retour possible. Tout le corps participe à cette canalisation d'énergie vers la pointe du pinceau. C'est le rythme de l'exécution qui confère son unité et sa beauté à la calligraphie et c’est ainsi qu’elle devient le reflet d’une personnalité, d’un état d’âme… Si la rencontre s’est bien passée, demain soir Yoko parlera à ses parents.





Trois notes de musique

Rebondissent dans son cœur

En pluie de sourires

Griotte