Destination : 162 , Itinéraire de choix


Voyage de choix ou choix du voyage ?

Ce matin Marthe se promène, seule, sur le quai d’un petit port breton. Elle déambule, l’âme désinvolte… Hier, elle a dignement fêté ses cinquante ans auprès de ses chers amis, et voilà qu’aujourd’hui, allez savoir pourquoi, de drôles de questions viennent s’immiscer dans ses pensées. Des interrogations du genre « mais finalement, à quoi je sers sur cette terre ? » ou « quel est mon rôle au sein de l’humanité ? » ou encore « aurais-je apporté quelque chose à quelqu’un, ici-bas ? ».

Ce sont ces questions qui l’ont poussée, de si bon matin, sur le Chemin du Ressac menant au port. Et elle est toute surprise du calme régnant sur le quai. Il faut dire qu’elle est rarement si matinale !

Encore toute absorbée par ses questions, elle pose nonchalamment son regard sur une petite embarcation toute simple : une barque bleue certainement encore apte au travail bien qu’affichant quelques signes de fatigue !

Pourquoi voit-elle dans ce simple esquif, une invitation au voyage ? Et si elle partait loin, histoire de vivre plus naturellement, plus paisiblement, sur une terre inconnue, à l’écart des soucis qui la préoccupent. La vie ailleurs serait-elle plus douce ? Lui serait-il plus facile, en terrain vierge, de défricher ses pensées nocives, d’y arracher les ronces qui sans cesse viennent coloniser son âme ? Non, c’est de la folie, ses proches s’inquièteraient !

L’œil toujours rivé à la barque, il lui semble maintenant que l’embarcation lui tend les bras... Marthe serait-elle en train de perdre sa lucidité ? Ce n’est tout de même pas sa toute nouvelle cinquantaine qui lui joue déjà des tours !

Les idées galopent dans sa tête. Calme ! Là… tout doux, les idées ! Elle hésite… Partir à l’aventure, ou bien continuer sa vie monotone qui ne lui convient pas plus que ça… Écouter son cœur ou bien revenir à la raison : le choix est cornélien…

Elle reste là, un long moment, sous l’emprise de l’inconfortable tiraillement dû au choix qu’elle s’impose de faire. Elle observe longuement le clapotis qui la berce d’illusions… Puis ses yeux reviennent sur la petite barque bleue, si simple et pourtant si attirante. C’est comme un signe, cette barque ! Et peut-être n’est-elle pas là par hasard… Qui sait si les objets ont une âme ? Marthe a-t-elle le droit d’ignorer un tel appel ?

Elle regarde une nouvelle fois les rames de l’embarcation et y voit les bras qu’un enfant tendrait vers sa mère. Combien de passants, ces jours derniers, l’ont ignorée ? Pourquoi Marthe ne lui accorderait-elle pas un peu d’attention ? Pour le seul prétexte que c’est un objet ? Non. Cette barque l’appelle. Elle y va… Elle s’approche, doucement, comme pour ne pas l’apeurer. Elle pense au Petit Prince qui tente d’apprivoiser le Renard. Elle sourit en s’installant délicatement sur la petite planche de bois et prend les rames entre ses mains. Le voyage s’amorce paisiblement… Marthe a la troublante sensation de s’unir à la barque, de se fondre en elle. Elle se sent bien ainsi, avançant vers l’horizon, réconfortée par la douce chaleur du bois. Marthe se laisse aller, doucement bercée par les vaguelettes. Elle se sent en harmonie et savoure l’ instant velouté…



Deux lignes dans le journal du lendemain : « Mystérieuse disparition d’une femme à Roscoff. Aucun lien avec la violente tempête d’hier n’a pu être établi par les enquêteurs »

Griotte