Destination : 4 , Je voudrais que quelqu'un m'attende quelque part.


M'attendra-t-on ?

Journée finie. Je n’en peux plus. Je me dirige vers le vestiaire et reprends mes affaires. Je me dépêche car Annie, ma collègue, m’attend pour aller boire un verre. Ça nous fera du bien de se détendre un peu après tous ces rendez-vous. Je descends les escaliers et rejoins le hall. Je salue quelques collègues, va griller une cigarette puis reviens dans le hall. Ce n’est pas vrai, qu’est-ce qu’elle fait ? Je m’approche de la réception :

- Julie, t’as vu Annie ? On devait se rejoindre ici il y a quinze minutes.

- Julie ? Oh, elle est partie il y a bien une heure.

Pfff… je soupire. Voilà, ma copine me pose un lapin…. Je mets mon manteau avec un engouement infime et sors. Tant pis, avec la journée que je viens de passer, je ne vais pas me laisser abattre. Je vais aller le boire ce verre. Notre café fétiche se trouve à quelques pas de là. Je m’y rends à pied. Cela me fait du bien de marcher, à l’air frais. Ça me vivifie. J’entre dans le café, un peu essoufflée par ce pas de course rapide, et m’installe à notre table. Par chance, elle est libre. On s’y sent bien ici, comme un petit coin de paradis, remplie de vie, vies différentes, plein de joie, de tristesse, de nouvelles…. La vie quoi.

- Bonjour Magui, qu’est-ce que je te sers ce soir ?

- Bonsoir Joe, allez, sers-moi un martini blanc. Avec glace s’il te plaît.

Je veux me griller une autre cigarette mais me rappelle de cette loi qui m’oblige désormais à aller dehors. Ce que je n’ai pas le courage. Je range mon paquet et sors mon portable. Aucun message, aucun sms. Juste l’heure et la température de dehors. Ça me fait de belles jambes avec ça. De toute façon, qui m’appellerait ? Pas de mari, pas d’enfants, pas de petit ami et ma mère habite à cinq cent kilomètres alors…. Je soupire à nouveau. Où voulez-vous que je place ma famille dans une vie de journaliste ? Dans ma poche, mon appareil photo ? Je ne peux pas tout faire, tout allier….on a beau dire que les femmes savent faire plusieurs choses à la fois à l’inverse des hommes, il y a des moments où j’en doute. Joe m’apporte mon martini. Je bois une gorgée, ça fait du bien. Ne pensez pas que je fais cela tous les soirs, c’est juste exceptionnel. Que vais-je faire ce soir ? Pizza, chinois, italien… je tourne ma tête vers mes voisins de droite. Deux hommes d’affaires je suppose vu leur costume, ou trader, je ne sais pas trop, j’hésite. J’écoute leur conversation.

- Ce soir, il y a l’OM qui joue en Coupe de France. Ça te dit de venir le mater ?

- J’aimerais bien mec, mais tu sais que Marie m’attend. Si je lui dis que je passe la soirée chez toi pour du foot, je n’ai plus de toit demain soir. Ca a des bons côtés d’être célibataire, crois-moi…

Il se fout de moi ? J’observe un autre couple d’amie devant moi, au comptoir. Deux femmes très belles, un peu fatiguées à mon goût, et trop maquillées pour masquer cette lassitude. Comme je les comprends…

- Je t’ai dit que Théo a fait ses premiers pas ? C’est incroyable, à peine 11 mois et il galope déjà dans toute la maison…ça passe vraiment trop vite.

- Tu m’étonnes, moi Clara est en CE1 et je la vois encore comme mon bébé. Ca grandit plus vite que nous j’ai l’impression…

Et moi, que puis-je dire sur ma vie ? Qui m’attend ? Je vais rentrer, allumer les lumières car personne ne peut les allumer avant moi. Je vais jeter mes clés dans le vide poche, ouvrir mon courrier, jeter la pub. Je vais m’asseoir sur mon sofa, enlever mes talons en disant haut et fort comment j’ai pu les porter toute la journée. Prendre une douche et un bain et manger devant ma télé. Voilà, et c’est ça tous les soirs, mais comment changer ? Je n’ai pas la notice, je ne me sens pas capable d’assumer vie professionnelle et vie personnelle. Pourtant, comment font les autres ? Je ne suis pas la première femme à avoir un emploi du temps chargé. Je ne suis pas faites pour ça alors….et c’est ça le pire. Comment une femme ne peut pas être destinée à être maman, épouse, amante voire … je soupire pour la troisième fois. Je crois que ce martini a un effet déprimant sur moi. Il faut que je me pose la question ? Ai-je envie ? De tout ça, des couches, des repas en famille, des soirées lessive, repassage, devoirs des enfants, les emmener à l’école, les reprendre, les emmener à leur activité le mercredi….. Oui, j’en ai envie. Je veux quelqu’un chez moi à qui raconter ma journée le soir, quelqu’un qui ouvre mon courrier, jette ma pub, enlève mes chaussures en se demandant comment je peux porter ça toute la journée. Je veux être débordée avec mes articles et photos la journée, et débordée le soir entre le mari, le bain des enfants, le repas…. Je veux que quelqu’un m’attende quelque part.

Allez, c’est bon, j’en ai assez pour ce soir. Je paie mon verre et sors. Je prends le métro, ligne 3. Une femme demande de tenir son enfant pendant qu’elle prend son portable qui sonne dans son sac. Haha très drôle, c’est encore un signe ? Je le lui rends et sors à ma station habituelle. Je me dirige sans entrain vers mon immeuble, vraiment pas motivée à la soirée qui me guette. Fatiguée, je prends l’ascenseur, allume la lumière du couloir. Je mets la clé dans la serrure, quelque chose bloque, elle ne tourne pas. Angoissée, je comprends que la porte n’est pas verrouillée et je la verrouille toujours. J’ouvre doucement la porte, (courage et curiosité qui vient de mon métier), et entre sur la pointe des pieds. La lumière est allumée. Et j’aperçois Alex mon meilleur ami assis sur mon canapé. Je respire…

- Qu’est-ce que tu fais là ?

- Ah ben enfin, je croyais que tu n’allais jamais rentrer. Tu rentres tous les soirs à cette heure ? Ma télé ne marche plus, je viens regarder le match de Marseille ce soir.

Alors là, c’est le pompon…. Je m’affale sur le canapé à côté de lui.

- T’as l’air nase ?

Il me regarde et je n’ai pas la force de répondre. Alors, il s’approche de moi, soulève mes jambes et enlève mes chaussures.

- Je me suis toujours demandé comment tu peux porter des chaussures pareilles ? Au fait, j’ai déposé ton courrier sur la table et jeté la pub à la poubelle ….

MAGUI