Destination : 55 , La mort nous va si bien


L'attente

L'attente

Le vieux bonhomme au physique de sélacien trottine jusqu'à son fauteuil, aussi fatigué que lui. Péniblement, il se laisse tomber plutôt qu'il ne s'asseoit. Un frisson parcours sa carcasse encrine, enveloppée d'une vieille robe de chambre imitation léopard.

D'un geste las, il tend la main vers l'appareil de chauffage : cette fois encore, il est tiède. Quelle importance désormais, puisqu'aucune chaleur n'entrera plus jamais dans son coeur ! Puis, dodelinant de sa tête chauve, il tourne un regard éteint vers la porte-fenêtre donnant sur le jardin, aussi délabré que lui.

Et il se souvient, le vieux... quand la vie emplissait la maison de rires d'enfants, de mots de tendresse... Il se souvient de la première fois, quand il l'a prise dans ses bras et que sa chevelure était brune, il se souvient aussi de la dernière fois, quand pour lui dire adieu, il a baisé ses cheveux blancs...Jusqu'au bout, ils se sont tant aimés, alors que la génération d'aujourd'hui ne connaîtra jamais l'éternité de l'amour ! C'est bien triste !

Les jeunes ? Ils ne viennent plus que pour l'estamper comme une vieille guenille... C'est normal, c'est dans l'ordre des choses... Lui au moins, il est toujours dans sa maison, pas comme son dernier contemporain qui vient de mourir à l'hospice. C'est ce que lui a dit la femme qui vient chaque semaine pour le ménage ! Il préfère encore supporter sa mauvaise langue et sa bêtise plutot que la solitude totale...

De temps en temps, il reçoit la viste de la plus jeune des gamines qui vient avec son "copain" comme ils disent aujourd'hui... mais il a mauvais genre le petit, avec son tatouage sur le bras et son anneau à l'oreille ! Oh, il n'est sûrement pas mauvais bougre, et puis la petite trouve toujours le mot pour l'attendrir ! Seulement, ils ne viennent pas souvent, mais quand même plus souvent que les autres qui, eux, ont toujours quelque chose à lui demander.

Il n'y a qu'une chose qu'ils ne pourront pas lui prendre... ce sont ces souvenir couleur sépia dans les albums enfouis dans la grande armoire, sous les draps jaunis... Que des souvenirs heureux ! Ce qui reste de sa jeunesse.. des carrés de cartons aux sourires figés de ceux qu'il a aimés, de ceux qu'il aime encore ! Quelques lettres enflammées de quand il était loin et qu'elle lui manquait ! Et ses réponses à elles... qui par le biais des mots, répondait à sa flamme... c'était hier tout ça !

A trop regarder le jardin, une pluie salée se répand sur ses vieilles joues ridées et glisse jusqu'à la griffure , là, sur sa main.... Le picotement lui rappelle... c'est quand elle partait... il a tant serré la sienne pour qu'elle reste ! Cette griffure, c'est encore un peu d'elle !

Il écoute le vieux... le tic-tac de l'horloge et le carillon qui lui dit que c'est l'heure de prendre son antitrhombine ! Le carillon s'est tu... il ne le prendra pas car elle lui a dit : "Je viendrai te chercher !" Il l'attend le vieux... il l'attend.... une mouche posée tout près de la blessure...

Mady - novembre 2000

Mady