Destination : 181 , Quatre mensonges et une vérité


La Chaloupe

* ce texte est la première partie d'une histoire dont la suire est présentée dans la destination 141 "Hopper avant l'arrière-saison"



Je monte d’un pas pesant les quarante-huit marches qui me permettent d’accéder au quatrième étage de l’immeuble. Inconsciemment, comme toujours quand je marche, je compte : « …vingt-quatre, vingt-cinq, vingt-six… ». C’est plus fort que moi, je ne m’en rends même pas compte.

Certaines fois, je chante une chanson. Pas n’importe laquelle, une que je scande au rythme de mon allure et qui peut varier en fonction de ma vitesse de déplacement. Entrainante si je marche rapidement, d’un pas pressé ; lancinante si je traine, musardant ou flânant au gré de mes rêveries.

Mais là, aujourd’hui, je compte : « … trente-quatre, trente-cinq, trente-six… ». Plus qu’une dizaine de marche et je serais devant ma porte. Il doit être pas loin des trois heures du matin… encore une fois, je rentre tard. Encore une fois, je n’ai pas osé découcher.

Pourtant, ce que ça peut me coûter de revenir là, maintenant !

« … quarante-six, quarante-sept, quarante-huit,… ». Ça y est je suis sur le pallier. Soudain, je me glace : un rai de lumière glisse sous la porte. Il ne dort pas. Pire, il m’attend.

Je m’adosse au mur du couloir, éclairé seulement par la pâle lueur du néon de la cage d’escalier. Le sang bat violemment à mes tempes, j’ai l’impression que quelqu’un s’amuse à jouer du tambour dans ma boite crânienne. Mon estomac roule en tous sens, j’ai la nausée.

Il va me demander des explications. Bien sûr. Cette fois, je ne vais pas y couper… voilà des semaines que j’esquive ses questions, que je fuis toute discussion. Mais là, je suis coincée…



Que faire, et surtout que dire ? Un mensonge, la vérité ?



Je peux toujours essayer de lui dire que j’ai travaillé plus tard que prévu et que je n’ai pas pu le prévenir parce-que j’étais en rendez-vous chez un client. Que non, la secrétaire ne pouvait pas connaître ce rendez-vous, vu que c’est justement un tout nouveau client que j’ai démarché aujourd’hui même et qui voulait à tout prix conclure cette affaire ce soir …



C’est tellement banal que ça parait même pas croyable…



Et si j’entrais, en lui disant tout simplement : « Mon chéri, bonsoir ! Si tu savais comme j’ai pensé à toi aujourd’hui… en sortant du travail, je me suis promenée le long des berges et je me suis rappelée quand nous y allions ensemble, ta main dans la mienne… j’étais tellement émue de me rappeler ces bons souvenirs que je n’ai pas vu l’heure passer… ».



Je vois déjà son regard s’accrocher au mien, me suppliant d’arrêter de remuer le passé…



Je pourrais peut-être frapper, et lui expliquer que j’ai perdu mes clefs alors qu’en attendant qu’il rentre, je suis allée passer un moment chez ma copine Germaine. Qu’on a papoté, qu’on a bu un petit apéro et puis qu’elle m’a invitée à rester dîner avec elle. Et que, comme la batterie de mon portable est vide, j’ai pas pu l’appeler pour le prévenir…



Mais il ne connait pas Germaine. Je crois même qu’il pense qu’elle n’existe pas.



Alors quoi ? Et si je lui lançais, comme ça, sans lui laisser le temps de répondre quoi que ce soit : « Oui, je sais, il est très tard. Mais voilà, la vérité, c’est que j’ai rencontré quelqu’un. On se voit depuis plusieurs semaines et je crois que ça commence à devenir sérieux entre nous. Je sais c’est un peu dur à entendre mais il va falloir que tu l’acceptes… »

Oh non ! Je ne peux pas lui dire ça… il a encore tellement besoin de moi… et moi de lui…



Je me laisse glisser le long du mur, et je m’assois par terre, la tête entre les mains.

Je me sens vide, sale, coupable. J’ai envie de vomir. Et je me mets à pleurer.



Je ne sais pas combien de temps s’est écoulé quand la porte s’ouvre doucement. Sa silhouette sombre apparait dans l’encadrement. Ses traits sont flous, mais je sais qu’il est beau, avec son visage encore enfantin que je connais par cœur…



Sa voix, à la fois douce et grave, parvient jusqu’à moi : « …maman, maman… s’il te plait, maman, rentre, ne reste pas là. Je vais te préparer un peu de café et te faire couler un bain. Et demain, en rentrant du lycée, je t’accompagnerai au Centre. Là-bas, ils t’aideront de nouveau… maman, ne sois pas triste. Rappelle-toi ce qu’ils ont dit la dernière fois, que c’est normal les rechutes, ça fait partie du processus de guérison… Il te faut encore du temps, mais je suis sur que tu vas t’en sortir. Je sais qu’un jour tu seras plus forte que la bouteille. Maman, viens, je t’aime… »

Myriam