Destination : 64 , Le geste à la parole


Les gestes pour le dire

Jamais ma fille ne m’appellerait maman.

Joséphine avait presque deux ans quand nous avons su qu’elle ne pourrait pas parler. Elle entendait distinctement, comprenait parfaitement, mais aucune parole ne sortirait de sa bouche. Ses cordes vocales ne s’étaient jamais développées. Sa gorge émettait quelques sons, tout au plus, qui accompagnaient ses rires, ses pleurs, ses émotions les plus fortes.

Ce jour-là, j’ai été complètement sonnée. A la fois soulagée d’avoir enfin une explication, heureuse de savoir que les difficultés de Joséphine n’étaient pas liées à un problème cérébral plus grave, effondrée de savoir qu’elle était muette et ne serait jamais tout à fait comme les autres. Instinctivement, j’ai eu envie de la prendre dans mes bras, de m’enfuir avec elle loin du bureau de ce spécialiste hospitalier, de nous réfugier dans un endroit secret, loin du monde.

Evidemment, mon cortex cérébral a gardé le contrôle du cerveau reptilien archaïque, et je suis restée là. J’ai écouté les explications médicales avec toute l’attention que l’on peut avoir dans ce genre de circonstances, c’est-à-dire proche de rien du tout. Dans ma tête, je revoyais les deux années écoulées, les joies de cette maternité tant désirée, toutes nos premières fois, toutes ses premières fois, ses sourires, mes angoisses, ses chagrins, mes fiertés… ma peur aussi, insidieuse, permanente… car j’ai vite compris que quelque chose clochait.

Après ça, on est rentrés à la maison. La vie a repris comme d’habitude. Enfin pas tout à fait. Parce qu’une fois passé le coup de tonnerre, j’ai commencé à chercher. C’est comme ça que j’ai entendu parler, sur un blog de parents, de l’utilisation des gestes pour communiquer avec son bébé. J’ai étudié cette méthode pour la mettre en pratique avec Joséphine. Nous avions déjà, inconsciemment, commencé à établir entre nous une sorte de langage, mais il ne pouvait pas s’appliquer aux autres. Nous avons appris à parler ensemble.

Quand Joséphine a eu trois ans, elle est entrée à l’école, comme tous les enfants de son âge. Comme nous vivions dans un petit village, elle est allée en classe là, dans cette petite école de campagne. C’était une petite fille très dégourdie et vive d’esprit, très vite la maîtresse m’a fait part de son étonnement face aux capacités de compréhension de notre fille. Comme si elle compensait sa différence par une plus grande acuité d’esprit. J’étais si fière et si heureuse que j’en ai pleuré de joie.

C’est cette même maîtresse, elle s’appelait Patricia, qui nous alors proposé la mise en place d’un projet particulier : faire intervenir une association d’un village voisin, pour apprendre la langue des signes à tous les enfants de l’école en même temps et même aux adultes présents. Nous avons accepté avec joie et gratitude, car cela signifiait que Joséphine pourrait faire toute son école primaire avec les autres enfants du village.

C’est ainsi que, deux fois par semaine, une intervenante de l’association venait pour donner ses cours. Les enfants étaient ravis et s’amusaient beaucoup à reproduire les gestes. Toute l’école s’y est mise et, petit à petit, les deux maîtresses se sont mises à signer les cours en même temps qu’elles les disaient.

Et pour moi, le plus beau jour de ma vie a été celui où pour la première fois, ma fille a pu enfin m’appeler « maman ».

Myriam