Destination : 76 , Je suis un animal...


Un esprit yoga contagieux !

Un esprit yoga contagieux !

Je me sens bien. Calme. Une chaleur diffuse pénètre tout mon corps. Je
respire profondément. Mes membres sont relâchés Les rayons orangers du
soleil levant d'automne me font cligner des yeux et recouvre ma vue d'un
léger voile scintillant. J'observe une feuille jaune tachetée de brun du
noisetier tombe doucement en inscrivant des cercles dans les airs.
Je ferme les yeux en poussant un long soupir. Que j'aime ces longs
moments où le silence bienfaisant inonde les environs endimanchés et plonge
le quartier dans une douce et grasse matinée régénératrice ! Je baille à
gorge déployée. Je m'étire, puis fait quelques pas, avant de reprendre ma
place favorite des premières lueurs matinales.
Je suis seule dans la cuisine jaune canari. J'apprécie chaque
instant de cette douce solitude, d'autant plus qu'habituellement, elle est
régulièrement entrecoupée de multiples agitations et brassages d'air de mes
colocataires. J'aime la compagnie quand elle sait, comme moi, se laisser
aller, lâcher prise et se détendre, en trouvant un équilibre vital.

La fenêtre entrouverte me permet d'entendre les bruits semi sauvages et de
sentir les parfums colorés, du jardin. L'odeur de l'herbe, fraîchement tondue et
transportée par un vent léger, caresse mes narines. Les cris flûtés d'un
courlis cendré faisant échos aux jacassements des pies et aux gazouillis des
étourneaux, me chatouillent gaiement les tympans. Je suis attentivement le
déplacement uniforme d'un nuage d'oies sauvages en vol pour l'Afrique. J
envie les enfants-maîtres déjà levés, occupant avec leurs grelots de rire
joyeux et leur fantaisie, l'immense terrain de jeu ouvert et vert dont ils
disposent à volonté. J'aimerais pouvoir me cacher avec eux dans les
groseilliers, essayer tout à coup d'attraper les derniers papillons multicolores de la saison
volant librement entre les framboisiers et les rosiers ou encore grimper
comme eux dans le magnifique pin nain au tronc biscornu des voisins.

Le soleil est devenu une grande boule blanche lumineuse. Je laisse reposer
ma tête, ainsi que le bout de ma langue relâchée en avant et ferme les yeux
pour piquer un petit somme de bien-être.
Je me souviens de mes premiers pas dans le parterre fleuri de mes maîtres.
Encore insouciante, je découvrais et humais avec délice les alysses
odorantes, les iris mauve foncé, les myosotis inoubliables et les belles
pivoines habillées de pétales d'un blanc éclatant. J'étais la plus mignonne,
donc la favorite, oui la chouchoute, je l'avoue. De ce fait, j'étais
détestée et maltraitée par la jalousie de mes confrères et de mes consoeurs.
Plus grande, je mis au monde une portée de petits, mais je ne parvenais pas
à m'en occuper, ni à les allaiter et encore moins à les protéger de mes
propres agresseurs. Traumatisée, paniquée pour tout et stressée par n
importe quoi, je n'étais plus que l'ombre de moi-même. Mes maîtres devaient
se séparer de moi à contrecoeur.
Mon nouvel adoptant me laissa le temps de m'habituer à son environnement,
de panser mes plaies et de retrouver un semblant de paix. Le calme de
ce nouveau lieu à l'image de son occupant, me mettait petit à petit en
confiance. Au bout de quelques semaines, je cessais de passer mes journées à
plat ventre sous le canapé. Toujours sur mes gardes, je me laissais
approcher et même caresser du bout des doigts. A force de temps et de
patience, nous apprenions à nous sentir et ressentir, pour finir par trouver
une certaine harmonie dans notre vie commune. Je me réfugiais derrière le
recoin sombre de la commode ou dans la pénombre qui me dissimulait au mieux,
dessous le lit de mon maître, lors des rares visites
qui me troublaient et m'effrayaient un peu. Malgré ces
quelques tensions, nous vivions des années de bonheur et de grande
complicité.
Puis un jour elle arriva. Elle entra comme un fort courant d'air. Tout d
abord, je restais invisible, attendant qu'elle s'essouffle, se lasse et
passe, étant certaine qu'elle n'était pas à sa place. Mais elle restait. Je
me mettais alors à découvert. Je décidais qu'il fallait prendre des risques
pour reprendre mon territoire, qu'elle occupait arrogamment comme zone
conquise d'office et sans mérite. Un matin, après leurs ébats, je bondis sur
le lit, la regardais en duel, les yeux dans les yeux et miaulais tant que je
pouvais. Mais rien n'y fit. Elle ne voulait pas nous quitter. Elle continua
même d'envahir tout notre nid douillet de toute son énergie,
secouant la poussière, vidant les étagères et déchirant la moquette sans
gêne, à tel point qu'elle parvint même à nous faire déménager.

Une mouche coquine vient me provoquer. Je fais semblant de dormir, l'épie
d'un oeil averti et hop tente de l'attraper. mais la rate . Ma
conjonctivite chronique m'a fait louper mon coup. Je reprends ma place et
mon repos bien mérité.
J'aime bien ce nouveau lieu désormais, même si j'étais au début très
perturbée de devoir à nouveau m'accoutumer à un nouvel endroit ! Le logement
est plus grand, certes, mais avec elle en plus. Elle, qui m'a volé toute l
attention, l'amour et la tendresse de mon maître, à moi, la favorite !
Je me rappelle du jour où elle s'était mise à enfler de tout son corps et ne
cessait de me regarder de travers. Je sentais bien qu'elle cherchait à se
débarrasser de moi et que ses arguments allaient peser de tous leurs poids.
Cependant, mon fidèle maître tint bon. - Il l'aime sans aucun doute, mais
moi depuis bien plus longtemps et des liens comme cela, on ne les brise pas
ainsi. - Je la snobais pendant plusieurs jours. Elle m'ignorait superbement
trop occupée par l'ampleur toujours plus surprenante de son abdomen, jusqu
au matin où elle arriva avec une clochette ridicule qu'elle accrocha à mon
cou, voulant repérer mes déplacements et me chasser dès que j'entrais dans
la chambre du fond nouvellement arrangée.
Peu de temps après, elle partit. Enfin ! Je reprenais aussitôt mes habitudes
avec mon maître suprême. Chaque recoin de notre logement était de nouveau à
moi. Du moins, je le croyais tout d'abord. Je voulais me coucher, comme au
bon vieux temps, sur le lit de mon ami, mais il ne me le permit pas. Il
était encore ensorcelé, sous le charme de cette femme, pensais-je. Mon répit
fut de courte durée. Une semaine après, elle revint avec un tout petit
humain hurlant dans ses bras.

Les cloches des églises alentours sonnent et se répondent avec leur
composition en carillon attribué à leurs différentes croyances. Je m'étire
et me roule sur le dos. Je change de côté et reprends le fil de mes pensées.
Ah ! Tous ces souvenirs du temps qui passe, si précieux, derrière lequel ma famille-maître ne cesse de courir chaque jour - sauf les dimanches - comme
des enragés, du matin au soir, pour en gagner soi-disant plus ! J'entends
les cris aigus des enfants. J'ouvre les yeux et pose un regard attendri sur
ces bambins encore si intuitifs. Ah ! ces petits, je les aime bien, même si
parfois ils m'agacent à toujours vouloir me porter, me courir après, me
câliner.
Je me dirige, à pas comptés, vers ma gamelle d'eau et celle de granules qu
elle m'a versées avant d'activer la machine à café. Au fond, je l'ai bien
adoptée et je crois qu'elle aussi s'est habituée à moi. Elle agite un peu
moins d'air autour d'elle, en s'éparpillant dans tout l'appartement.
Je regarde un escargot, égaré sur le seuil du balcon sortir ses antennes,
avant de reprendre une lapée d'eau fraîche. En fait, depuis qu'elle est
entrée dans nos vies avec ses petits humains en plus et beaucoup de fêtes et
d'amis en prime, je dois le reconnaître, je suis devenue plus sociable,
moins peureuse et mon maître moins ours. Il est vrai que notre vie respire
moins la tranquillité, mais elle a acquis un goût relevé, agréable à
savourer.

J'entends la clé tourner dans la serrure. Je vais aller les accueillir d'un
petit miaulement amical et me laisser caresser par le plus petit, avant de
faire une partie de cache-cache avec la plus grande. Je réclamerais enfin un
encas supplémentaire à ma maîtresse malgré elle. J'irai ensuite roupiller
sans honte sur la chaise à bascule en osier, pendant que mon maître
reprendra patiemment une main sur une partie de carte virtuelle, tandis que
le trois main entamera au piano une nouvelle fois son refrain toujours plus
beau.

Sabine