Destination : 263 , Au pied de la lettre


Le pied de la lettre

« Ne prend pas les choses au pied de la lettre ».

Voilà ce qu’il avait dit en me remettant l’enveloppe, soigneusement cachetée. Je l’avais regardé, interloquée. Puis il était parti, me laissant là, seule avec mes questions. Et le léger rectangle de papier blanc qui pesait dans ma main.

J’ai déchiré l’enveloppe et déplié la feuille de papier qu’elle contenait. Ma première réaction a justement été de ne pas suivre ses instructions pour regarder aussitôt ce qu’il y avait en bas de la feuille, au pied de la lettre. Je n’ai rien vu d’autre qu’une signature, la sienne.

Je suis entrée dans un café pour en commander un, bien noir, bien serré. Je sentais que ce qui allait suivre serait primordial, peut-être même douloureux. La preuve était là, sous mes yeux. Jamais il n’avait signé de son nom nos échanges épistolaires, me gratifiant généralement du petit nom affectueux que nous partagions en secret. Mais pas cette fois. Son nom se détachait, à l’encre bleue et froid.

En attendant que l’on me serve, j’ai commencé à lire les quelques dix lignes de sa missive. Je n’ai rien compris. Où plutôt, je n’ai pas réussi à mettre du sens sur ce que je lisais. Les mots s’alignaient dans ma tête mais le sens de cet alignement m’échappait. J’étais obnubilée par ce qu’il m’avait dit avant de s’éloigner, peut-être pour toujours ?

Au pied de la lettre, il n’y avait rien. Peut-être ne s’agissait-il pas de l’objet mais du signe ? Mais alors, de quelle lettre s’agissait-il ? Il y avait quand même vingt-six postulantes. Un indice était certainement caché quelque part, au détour d’une phrase… Je devais donc reprendre mes esprits et ma lecture pour le découvrir.

Je remarquais la récurrence du « s ». C’était d’ailleurs la première lettre de mon prénom. Comment n’avais-je pas compris plus tôt ? Il devait donc certainement y avoir quelque chose d’écrit au pied de chaque « s ». Je repris donc ma lecture, armée d’un stylo avec lequel j’entourais le mot écrit juste en-dessous des lettres. Le résultat me laissa encore une fois perplexe : cela ne voulait rien dire. J’essayai pendant une bonne demi-heure - le temps de commander et boire trois cafés supplémentaires – de les ordonner différemment. Sans succès.

J’étais déroutée et frustrée devant mon impuissance. Le message était pourtant là, sous mes yeux ; il me l’avait remis lui-même. Et j’étais incapable de comprendre. Les yeux pleins de larmes, je me résignais finalement à lire simplement et bêtement le message, abandonnant l’idée de pouvoir en déceler le sens profond.

« Sophie, Je m’en vais. Ne crois pas que cette décision soit faite de gaieté de cœur. Depuis dix ans que nous nous connaissons, tant de souvenirs joyeux nous réunissent ! Mais voilà. Tu n’as jamais vu en nous qu’une amitié basée sur notre passion commune pour les jeux de casse-tête et les devinettes. Or mes sentiments sincères à ton égard sont bien plus importants. Je t’aime, oui, voilà, c’est dit. Et comme je pense que ce ne sera jamais réciproque, je préfère arrêter de souffrir et essayer de construire ma vie ailleurs, autrement. Tu me manqueras, non, tu me manques déjà. Pierre. »

C’était à n’y rien comprendre !

myriam