Destination : 80 , Monstres !


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Freaks



Laide est laide.
Laide, c’est son nom. Son état, sa fonction, son métier.
Il faut de tout pour faire un monde. Laide incarne la laideur de l’humanité.

« Laide ». Dès sa naissance, ses parents l’ont nommée ainsi : « Laide ». A peine était-elle sortie du ventre de sa mère, tous se sont récriés : « Pouah, qu’elle est laide ! » Tous l’ont vomie. D’autres parents, niant l’évidence, l’auraient appelée, par antiphrase, Belle, Harmonie, ou lui auraient donné un nom de fleur ou de starlette, de diva de soap opéra. Ses parents furent pragmatiques : « Tu es Laide. Tu seras monstre de foire. »

A la Foire du Trône sa baraque est l’attraction. Les gens viennent de loin pour la voir, ils paient cher. Sa laideur vaut son pesant d’or. Dès qu’ils la voient, dans sa baraque, les gens se récrient : « Quelle horreur ! Tu ne trouves pas, chéri ? Elle est affreuse, non ? Regarde, Kévin, comme elle est laide ! C’est un monstre, tu vois ? Comme dans tes contes de sorcières. » Les enfants s’esclaffent, pouffent en sourdine en se bourrant les côtes : « T’as vu la monstresse ? C’qu’elle est moche ! Ouah le thon ! » Les adultes regardent, fascinés, les yeux écarquillés, bouche béante. Ils ressortent enfin, pas mécontents, rassurés sur leur normalité, surtout les femmes, qui s’angoissent pour un pli de graisse, un comédon, une ride traîtresse. Leurs petites laideurs quotidiennes en sont apprivoisées, gommées, comme par enchantement. Ca vaut un lifting.

Laide a trouvé son prince charmant, laid, lui aussi. Il exhibe sa monstruosité à deux baraques de la sienne. On a célébré leur mariage dans l’intimité, entre monstres. Quatre témoins, la femme à barbe, l’homme tronc, elephant man et la naine hydrocéphale, leurs amis, ont béni leur union. Deux enfants leur sont nés, laids eux aussi. Ils seront monstres de foire, comme papa et maman. C’est un bon métier. Ca paie bien.

Le soir tombé, sur la Foire du Trône s’écoule l’infini défilé des gens normaux, des gens bien pensants. Les Freaks les regardent s’étonner en les dévisageant. Cela les amuse beaucoup. Ils ne s’en lassent pas. C’est un plaisir gratuit.

Jose