Destination : 131 , Cent ans de vie et plus
De Gaule écrivait à propos du maréchal Pétain que la vieillesse est un naufrage et que cette dernière allait s’identifier avec le naufrage de la France. Aujourd’hui, force est de constater que si de Gaule avait raison de déplorer le naufrage de la France, il ne fut peut être pas dû à la sénilité du maréchal. De plus en plus on prolonge la durée de vie du navire, on a des pièces et de rechange et la croisière si elle ne s’amuse pas toujours, continue et vogue vers des mers calmes.
Bienheureux les jeunes retraités qui peuplent cet atelier, une longue vie leur est promise, comme à leurs enfants et petits enfants que l’on promet centenaires. Il y a bien quelques esprits négatifs pour dire que cela ne durera pas, que la génération d’avant était plus résistante… mais les faits sont là, la vie s’allonge en moyenne, même si la moyenne ce n’est jamais le cas de chacun, mais celui « de tous à la fois ».
Levi-Strauss qui vécut jusqu’à près de 101 ans avant de nous quitter récemment nous livre une nouvelle définition de la vieillesse : « l’hologramme brisé ».*
Qu’écrire avec cela ? Beaucoup de portes s’ouvrent. On peut imaginer un texte où l’on se retrouve dans soixante ans, encore en vie. Il est aussi possible d’imaginer une histoire entre centenaires pimpants. L’immortalité est en point de mire : de « l’immortelle » de J.L.Borges au « secret de l’immortalité » de Hubert Haddad en passant par « l’immortel » de F.O. Giesbert, la littérature regorge de ce désir vieux comme le monde. On n’oubliera pas non plus le plus vieux récit occidental d’immortalité qu’est la vie de Jésus. Dans la bible on trouve d’autres exemples de très grand âge tel le célèbre Mathusalem et ses 969 ans.
Ecrire sur cette destination c’est aussi se pencher sur l’extrême vieillesse avec toutes les réflexions qui peuvent venir. Ce qui me frappa le plus lors de mes deux années passées en Afrique c’est la différence qui sépare nos sociétés : la notre qui cache et oublie ses anciens alors que là-bas, les vieillards sont une richesse consultée, respectée…
Cette destination en terre lointaine (aux frontières de la vie) a été grandement inspirée par l’excellent mensuel « Books » dont je recommande vivement la lecture, pour son indépendance, sa pertinence et sa qualité littéraire. http://www.booksmag.fr/magazine/le-numero-en-cours.html
On peut y lire et y entendre un extrait de Borges :
http://www.booksmag.fr/magazine/c/l-immortel-de-borges.html
Longue vie à tous !
JFP
* « Montaigne dit que la vieillesse nous diminue chaque jour et nous entame de telle sorte que, quand la mort survient, elle n'emporte plus qu'un quart d'homme ou un demi-homme. Montaigne est mort à 59 ans et ne pouvait sans doute avoir idée de l'extrême vieillesse où je me trouve aujourd'hui. Dans ce grand âge que je ne pensais pas atteindre, et qui constitue une des plus curieuses surprises de mon existence, j'ai le sentiment d'être comme un hologramme brisé. Cet hologramme ne possède plus son unité entière, et cependant, comme dans tout hologramme, chaque partie restante conserve une image et une représentation complète du tout. Ainsi y a-t-il aujourd'hui pour moi un moi réel, qui n'est plus que le quart ou la moitié d'un homme, et un moi virtuel, qui conserve encore vive une idée du tout. Le moi virtuel dresse un projet de livre, commence à en organiser les chapitres, et dit au moi réel : « C'est à toi de continuer. » Et le moi réel, qui ne peut plus, dit au moi virtuel : « C'est ton affaire. C'est toi seul qui vois la totalité » (Témoignage recueilli à l’occasion du 90ème anniversaire de l’écrivain).