Destination : 273 , Absence, manque et disparition…
On peut être heureux si l’on n’a pas conscience de ce qui nous manque ou si ce qui nous manque ne nous est pas essentiel.
Cela ressemble à une citation, mais c’est la formulation qui m’est venue pour décrire ma pensée à la suite d’une discussion.
C’est bien mystérieux tout cela, je vous le concède.
Et le mystère risque bien de s’épaissir. J’ai toujours été fasciné par la disparition, ce qu’elle promet d’irréversible et de radical, cette porte qui se ferme pour toujours sur un passé et sur celle qui s’ouvre peut-être et dont on ne sait absolument rien. (D 15 : Changer de vie , D 53 : Journal d’un disparu volontaire, D77 : La disparition )
Dans le quatrième tome de la saga de « l’amie prodigieuse » d’Elena Ferrante, au cours de « l’enfant perdue », il se produit une disparition dont je ne pourrai trop en dire sans dévoiler trop l’intrigue. Elena Ferrante nous plonge alors dans le désarroi, l’effroi que cause une disparition soudaine (pléonasme ?), imprévisible, inacceptable. Plus généralement, ce quatrième tome nous plonge à nouveau dans les méandres de la nature humaine, les incohérence de nos vies, l’inéluctable des chemins qu’empruntent des destins tortueux. Certaines personnes vous diront que la romancière en fait trop, que ce n’est pas possible, mais je crois que je n’ai presque jamais rien lu d’aussi vrai, avec des personnages qui me paraissent plus vrais que nature.
Actuellement, je suis en cours de lecture de « Quand le diable sortit de la salle de bain» de Sophie Divry ; la narratrice nous livre le récit de son quotidien rempli de difficultés liées à sa situation précaire. Le livre s’ouvre sur la réception d’une facture EDF de 260 € qui va laisser le compte en banque de l’héroïne presque à sec : 40 €. Ce manque d’argent poursuit la narratrice qui nous conte sa vie de manière féroce et enjouée. C’est vraiment agréable à lire, plein de punch et de créativité, là aussi, on y croit vraiment !
Je vous propose pour cette destination, de travailler autour de l’absence, du manque, de la disparition qui sont voisins tout en étant différents.
Plusieurs pistes se profilent pour explorer cela :
- une première famille de possibilités : travailler sur des manques, des disparitions, des absences de « forme ». Pensez à l’emblématique « Disparition » de Georges Pérec, qui réalise le tour de force de faire disparaître la lettre e de son roman (lipogramme en e), ce e c’est aussi « eux », c’est à dire ses parents qui ont disparu. Il existe aussi des disparitions de ponctuation, comme ce roman de Mathias Enard qui se débarrasse de tout point (.) dans son livre « Zone ». On peut également imaginer des absences d’accords (verbaux?), de pronoms, de déterminants, de formes verbales conjuguées, d’adjectifs, plus tout ce que votre imagination et la grammaire française vous autoriseront à supprimer. Je vous invite vraiment à tester cette voie, ne serait-ce que pour voir ce qu’elle vous propose.
- deuxième ensemble de voies empruntables : les disparitions, manques, absences de « fond ». Absence d’un personnage, absence de narrateur, manque d’argent, manque de temps, disparition de tout bruit, de couleur, de peur, de fruits, d’animaux, d’eau potable…
Finalement, toute disparition ou absence peut être un bon sujet d’écriture.
Comme Georges Pérec, pensez aussi qu’il est possible de combiner les deux types de disparitions / absences / manques, c’est à dire de forme et de fond.
Je ne peux m’empêcher de couper l’herbe sous le pied de quelque plaisantin(e) qui nous enverrait un texte vierge de tout, c’est à dire un grand blanc, nous proposant une énigmatique et puissante disparition / absence « totale ». Mais il vous reste encore plein de façons de nous surprendre, nous étonner, nous enchanter !
Pour finir, je affirme que sans vous cet atelier ne serait rien, que vous êtes son âme et sa vie, merci.
JFP
http://www.leseditionsnoirsurblanc.fr/data/extrait/9782882503848.pdf Vous trouverez là un très long extrait, les six premiers chapitres du roman de Sophie Divry ! Régalez-vous !