Destination : 326 , Identité
Qui suis-je ? Que suis-je ? Qui êtes-vous ?
C’est en lisant un paragraphe du dernier roman de Dany Laferrière « Tout ce qu’on ne te dira pas, Mongo », paragraphe s’intitulant « L’identité voyageuse » que m’est venue l’idée de cette destination.
Un petit mot sur le livre d’abord. Construit de manière assez particulière, le livre démarre avec la rencontre entre l’écrivain et un jeune camerounais qui vient de débarquer à Montréal. Cette situation rappelle à l’écrivain son passé et sa propre arrivée au Québec en 1976. Au fil du roman, l’auteur alterne les rencontres avec Mongo, ses souvenirs de quarante années en exil au Québec, ses chroniques matinales à la radio. Au début, on est un peu désorienté, puis on suit les pas joyeux du sage érudit avec plaisir, dans un style toujours poétique et ensoleillé. À noter que ce roman est une belle lettre d’amour au Québec.
Extrait du paragraphe « L’identité voyageuse » (lui-même tiré d’une chronique matinale) :
« L’identité est devenue un fourre-tout. On met dedans plus qu’elle ne peut contenir. L’impression que plus on tente de la définir, plus elle nous échappe. Pendant longtemps, le rapport se faisait avec la psychologie. Dès que quelqu’un semblait avoir perdu ses repères, on diagnostiquait une crise d’identité. Pour dire que cet individu ignorait ou faisait semblant d’ignorer qui il est vraiment. Le mot vraiment est là pour signaler qu’il existe une définition claire et nette de soi, et qu’on se sentira perdu tant qu’on ne parviendra pas à épouser ladite définition. Bien sûr, l’une des clés du problème serait de savoir qui a établi pareille définition. Disons simplement que l’identité n’est qu’une banale boussole qui permet de trouver le Nord à tout moment, ou de le perdre. [...]»
Je vous invite bien sûr à réfléchir sur cette conception de l’identité exprimée par Dany Laferrière et pourquoi pas de vous trouver en accord ou en désaccord avec son opinion.
Bon, je vous offre un bonus, un petit peu plus loin, l’écrivain chroniqueur illustre son propos :
« Un matin, une jeune femme m’appelle au téléphone pour me raconter son drame. Née dans le Sud et adoptée par une famille du Nord, elle a passé son enfance et son adolescence à éviter de faire des gestes qui débordent du cadre, à restreindre na nature expansive. Un oiseau aux ailes coupées. Et même là, on lui faisait remarquer le lendemain qu’elle gesticulait trop dans son sommeil. Ses parents qui l’aimaient pourtant lui disaient qu’elle était trop. Trop comment ? Trop tout. Elle se diagnostiquait elle-même folle. Puis un jour, sans connaître personne là-bas, elle a pris un avion en direction d’un pays du Sud. Et dès qu’elle y a mis les pieds, elle était guérie. […] Tout débordait. Il m’a fallu réapprendre à déployer mes ailes. Je n’étais pas folle parce que les autres semblaient plus fous que moi. […] Elle a conclu qu’il fallait faire attention en déracinant une plante.[...]
Et pour finir :
« Il arrive parfois, mais c’est rare, que les pays se trompent sur leur identité. Ils croient qu’ils sont du Nord alors qu’ils sont du Sud, et vice-versa. Ils édifient tout un système complexe qui leur permet d’épouser cette fausse identité. Mais rien n’y fait. Ils vivent à côté de leur essence profonde. Cela peut durer des siècles, jusqu’à ce qu’ils finissent par émigrer un à un vers leur légitime lieu. La famine peut pousser tout un peuple à vouloir vivre dans un nouvel espace. L’identité aussi. On rêve d’une dérive des continents pour nous sauver des identités fixes. »
Je crois que ces trois extraits illustrent chacun à leur manière un aspect de la question identitaire, qui peut être posée sur tout : un être humain, un végétal, un animal, un pays, une culture, un sport, une langue, un objet, une pratique culinaire… Tout peut-être regardé sous l’angle identitaire.
Le troisième extrait m’a fait me poser la question « Et si la France était un pays qui se trompait d’identité ? ». Voulant absolument rejoindre les pays du Nord (de l’Europe), ces bons élèves de l’union européenne qui affichent croissance et bonne gestion de leur déficit. Si la France, pays latin (du Sud de l’Europe) reniait ses racines pour tenter d’embrasser le devenir d’un pays résolument capitaliste et libéral faisant fi des questions sociales ? Loin de moi l’idée d’entamer ici un débat politique, juste montrer la fécondité des réflexions du penseur Haïtien-Québécois francophone.
Je ne souhaite pas approfondir plus le concept d’identité, je ne sais d’ailleurs pas s’il existe dans toutes les cultures. Je préfère vous laisser avec les extraits précédents comme matière.
Je vous propose d’écrire un texte où il sera bien sûr question d’identité, pour une personne, mais aussi pour tout ce que vous souhaitez : un animal, un arbre, un accent, une ville, un pays, une idée…
Finalement, je me fais la réflexion que mon identité est l’idée que je me fais de ce que je crois être, de là où j’imagine que je viens. Vous voyez, le poète écrivain est plus prolixe et plus affirmatif !
Soyez vous-même, mettez ce que vous êtes dans votre texte !
JFP
http://memoiredencrier.com/tout-ce-qu-on-ne-te-dira-pas-mongo-dany-laferriere/ Sur le site de son éditeur Québécois. A noter que nos cousins d’Outre-Atlantique ont eu la chance d’avoir ce livre en main près de 5 ans avant nous !
Dernière petite chose amusante en rapport avec le sujet : depuis son élection à l’Académie française (en 2013), l’écrivain doit veiller à de fréquents aller-retours entre Paris et la Belle Province, afin de ne pas perdre son identité québécoise !
http://www.academie-francaise.fr/les-immortels/dany-laferriere biographie « officielle » de l’immortel.