Destination : 338 , L'âne au Mali
C’est une destination un peu tortueuse qui vous attend là, du moins dans le cheminement qui conduit à son énonciation.
Comme chaque année, je tends une oreille en direction des prix littéraires pour entendre ceux que les critiques distinguent. Cette année (fin 2020), le prix le plus prestigieux, le prix Goncourt a couronné le roman d’Yves Le Tellier, « l’anomalie ». Je croyais l’avoir commandé à mon libraire en ligne, et je m’étonnais de ne pas le recevoir. Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts, et j’ai d’autres lectures en souffrance, ce qui fait que je ne me suis toujours pas penché sur l’œuvre primée.
Cependant, l’auteur, son œuvre, son parcours sont riches en destinations potentielles.
Commençons par le roman « l’anomalie ». Sans vouloir raconter une histoire que je n’ai pas lue, rien que le titre est intéressant et nous propose une première piste de destination, écrire sur une anomalie, c’est-à-dire sur quelque chose qui s’est produit alors qu’autre chose devait se produire. Si l’on va par là, la vie est une succession d’anomalies !
Yves Le Tellier est un écrivain quelque peu hors norme, si tant est qu’il y ait des écrivains normaux ou classiques dans le sens où ils seraient conformes à une vague idée que l’on pourrait se faire de cette profession.
Mathématicien de formation, il se tourne vers le journaliste pour ensuite devenir docteur en linguistique tout en étant parallèlement chroniqueur ou éditeur…
C’est en 1992 qu’il rejoint un mouvement littéraire (qui ne s’en veut pas un) fondé par un autre mathématicien (François le Lionnais), à savoir l’Oulipo* (Ouvroir de littérature potentielle). Il publiera des ouvrages de références en la matière mais aussi des œuvres littéraires oulipiennes telle « Joconde jusqu’à cent »**(1998), ouvrage humoristique faisant penser aux exercices de style du regretté Queneau du même groupe. Arrêtons-nous quelques instants sur ce qui constituera notre deuxième piste de destination : écrire des variations littéraires si possibles drôles à partir d’un tableau célèbre. Je vous propose ici, mais ce n’est qu’une proposition de prendre pour exemple l’équivalent de la Joconde pour les Japonais, à savoir la célèbre « grande vague de Kanagawa »*** .
Reprenons les pas de Le Tellier, notre guide pour cette destination. Cet écrivain, comme la plupart des participants de l’Oulipo ne dédaigne pas l’humour, la plaisanterie, les canulars, ce qui pour en moi est une marque de sérieux pour un artiste. Il n’y a que ceux qui ne rient pas que l’on ne doit pas prendre au sérieux. Bref, avec un ami journaliste, du Canard enchaîné, ils fondent en 1995 l’association des amis de Jean-Baptiste Botul. Il était temps, car cet immense philosophe de tradition orale, qui vécut de 1896 à 1947, qui rencontra au cours de sa vie Simone de Beauvoir ou encore Joséphine Baker, fut un grand spécialiste de Kant. Prônant une philosophie orale, il ne nous est parvenu des textes que par l’intermédiaire d’écrits épistolaires, notamment sur la vie sexuelle de Kant. Grâce à l’association des amis de Jean-Baptiste Botul, nombre d’intellectuels tels que Bernard Henry-Levi ont pu dans leurs œuvres faire état de la pensée du philosophe oublié. Sauf que Jean-Baptiste Botul n’a jamais existé ! Le botulisme est donc un mouvement bien moins dangereux (il provoque simplement des spasmes hilarants) que la maladie du même nom ! A noter que le prix Botul récompense régulièrement des livres parus ayant fait mention du philosophe éponyme.
Cette étape marque le troisième arrêt de cette destination, votre adhésion à l’association des amis de Corentin Victor Dit-The Noeuf. Il vécut de 1903 à 1973, naquit à Saint-Pierre d’Oléron et fut également un philosophe français. Il passa une grande partie de sa vie à l’étranger : poète en Afrique de la fin de son adolescence au milieu de son âge adulte, c’est aux Etats-Unis qu’il est le plus connu, en particulier pour sa philosophie « du gros »(the big philosophy) ou encore « critiquer n’est pas panser » (the no heal criticizing philosophy). La plupart de ses œuvres ne nous sont pas parvenues, éditées à faibles tirages et peu traduites. Pourtant, son influence semble majeure dans ce qui sonna le glas de la « French Theory » où il influença les nouveaux intellectuels américains vers des courants toujours plus libéraux, consuméristes voire cyniques.
Je ne pourrais qu’apprécier que vous contribuiez à faire mieux connaître ce philosophe : sa vie, ses amours, son œuvre…
Nous pourrions continuer à suivre le lauréat du prix Goncourt, mais j’aurais peur que la destination n’en devienne trop longue. Cependant, je le garde comme guide dans mes archives, et nous reviendrons un jour côté de l’Oulipo, qui plus de soixante ans après sa création, est toujours fécond.
Dernière étape, pour celles et ceux qui n’auraient pas trouvé leur bonheur lors des arrêts précédents : l’âne au Mali. Libre à vous d’imaginer un texte ayant pour titre celui-ci, je vous le prête bien volontiers. J’ai appris dernièrement, que ce penchant que j’avais pour les détournements de locutions de manière phonétique était une manie Lacanienne. En relisant cette destination, j’y ai découvert une anomalie majeure, que j’ai donc décidé de laisser telle quelle, une sorte de lapsus dont j’ignore le sens !
* http://www.oulipo.net/ un groupe et un site bien vivants
** http://sornettes.free.fr/spip.php?article244 Des extraits de « Joconde sur votre indulgence », la suite de « Joconde jusqu’à cent »
*** http://fr.wikipedia.org/wiki/La_Grande_Vague_de_Kanagawa
**** http://www.seuil.com/ouvrage/ou-sont-les-anes-au-mali-roger-pol-droit/9782020985673 on croit qu’on a été original, voire drôle, mais cela a déjà été fait !