Destination : 339 , Trangressions
J’ai quelque peu conscience que le titre de cette destination puisse paraître fort voire violent, rassurez-vous, ce n’est pas ma volonté ni le chemin qui vous sera proposé.
« Lire – magazine littéraire » a sorti un hors-série sur la transgression, et j’ai été curieux de le découvrir. Après y avoir picoré pas mal de choses intéressantes, je me suis fait la réflexion qu’il n’y avait pas d’art sans transgression et que la littérature était le terrain rêvé (si l’on peut dire) de la transgression.
La transgression est l'action de ne pas respecter une obligation, une loi, un ordre, des règles. Par extension, une transgression désigne le fait de :
ne pas se conformer à une attitude courante, ou interprétée comme naturelle,
dépasser une limite,
d'aller contre ce qui semble naturel. (adapté de wikipédia).
Une grande partie de la fiction littéraire narre des transgressions et il est courant de lire des histoires abominables, noires, où les pires instincts sont décrits, comme si une des fonctions de cette littérature était d’évacuer -sous forme de catharsis ?- les pulsions latentes des humains que nous sommes.
Chaque culture et chaque période historique a connu ses actes transgressifs, voire a mis en place ses soupapes transgressives : dans la Rome antique, les saturnales renversaient les rôles sociaux pendant une semaine. Au Moyen Âge, pendant trois jours fin décembre la fête des fous s’emparait des ecclésiastiques. A la Renaissance, le carnaval, qui perdure encore, permet un travestissement, une soupape de décompression avant une période de carême et dans l’attente du retour du printemps. En passant, je me dis que nos gouvernants seraient bien inspirés de prévoir une grande fête de la fin de la Covid !
Pour résumer, transgresser c’est sortir d’un certain cadre duquel on n’est a priori pas supposé sortir. Première piste de destination : sortir du cadre de cette destination, la transgresser et écrire son texte sans tenir compte de ce que je propose !
Sur le terrain du récit, il est possible de raconter une anecdote, ou de l’inventer, ayant pour thème une transgression que je qualifierai de commune ou de banale :
- le souvenir d’un larcin enfantin,
- une sanction mémorable pour un acte répréhensible (dans le cadre familial, scolaire…)
- un déception lorsqu’une personne chère a trahi, transgressé une relation de confiance, un pacte moral.
...
Sur le terrain formel de la littérature et de ses codes, transgresser peut être :
- ne pas respecter les codes de la poésie,
- abolir les frontières de genre : une histoire policière érotico-science-fictionnelle à l’eau de rose ?
- un non-respect du lecteur : on l’apostrophe, le met dans l’histoire, se moque de lui…
- un non-respect de la langue française : s’affranchir d’une partie de la ponctuation, des règles d’accord, de concordance des temps …
(voir l’écrivain Pierre Guyotat)
Sur un terrain « paradoxal » il est possible d’envisager la transgression comme un acte positif, par exemple en narrant comment une transgression a pu procurer du plaisir à son auteur. Je pense aux performances artistiques où de nombreux artistes contemporains ont produit des transgressions surprenantes, pour ne pas dire parfois choquantes. Quel était le message à délivrer, quelle était leur démarche ? Je serais curieux de lire un texte portant sur ce sujet. Sur ce terrain, il y a aussi le champ politique et social où des transgressions ont fait avancer les droits, la société.
Au plan des références littéraires et artistiques, tellement d’auteurs ont fait œuvre de transgression qu’il serait plus rapide de ne citer que les auteurs vierges de toute transgression si cela était possible.
Dans le hors-série précédemment cité, je reprends :
- Serge Gainsbourg qui enflamma en direct un billet de 500 F pour se plaindre des impôts qu’il payait,
- Rosa Parks, qui en 1955 refusa de céder sa place à un homme blanc, ce fut le début du mouvement pour les droits civiques en Amérique,
- Jean Genet, qui expérimente une « transgression illimitée » : il n’y a plus de limite ou d’interdit, il n’y a donc plus de « mal »,
- Le marquis de Sade : on en pense ce qu’on en pense, mais de nombreux auteurs contemporains le lisent, s’en réclament, s’en inspirent,
- Louis-Ferdinand Céline : il choisit en pleine conscience de devenir irrécupérable, provocateur sans remords…
- Rabelais : selon Céline, il voulait faire entrer la langue orale dans l’écrit (transgression), démocratiser la langue et il aurait échoué.
- Houellebecq : écrivain transgressif ou misogyne conservateur déclinologue ?
- Colette : elle apporte de la sensualité dans une fiction raisonnable (Christine Ferniot)
- Annie Ernaux : une écriture objective qui refuse de faire de l’art pour l’art, qui propose une auto-sociobiographie, selon elle « à la jointure du familial, du social, du mythe et de l’histoire », dans la filiation de Marguerite Duras.
Pour résumer les itinéraires proposés :
1- un texte qui transgresse cette destination
2- un récit de vie sur une transgression
3- transgresser la littérature, sa forme et ses codes...
4- essai de transgression positive et/ou artistique
Pour finir, je dirais que trop de transgression tue la transgression, dans l’art, la littérature, la société. Par exemple, sur le terrain de la sexualité, peu traité dans cette destination, tellement de barrières et de limites ont été franchies, que des personnes (souvent jeunes) pour être transgressives choisissent l’hyposexualité ou la non pratique d’une sexualité. Comme si finalement, aujourd’hui, transgresser c’était se fixer un cadre serré, choisi, pour se distinguer de tous les autres qui flottent dans un océan transgressif.
Chers amis, transgressez à tout-va, mais dans le respect de tous et chacun, car s’il y a une chose qui nous est chère, c’est l’espace du possible bienveillant que cet atelier s’enorgueillit de garantir !
Pour être transgressif en ces temps masqués, je vous embrasse !
JFP
http://www.lire.fr/produit/177/3663322026669/pourquoi-la-transgression-fait-elle-avancer-le-monde le magazine lire hors-série sur la transgression