Destination : 344 , Nous allons perdre deux minutes de lumière
Le prix Goncourt a braqué à nouveau les projecteurs sur le groupe de l’Oulipo, mouvement que nous n’avons jamais cessé d’observer depuis la vigie d’Ailleurs, car tourné vers l’expérimentation littéraire, la pratique de l’écriture, les ateliers...
L’Oulipo est bien vivant et toujours créatif, en témoigne cette destination inspirée par la parution ces derniers temps (février 2021) du livre poétique « Nous allons perdre deux minutes de lumière » écrit par Frédéric Forte, chez P.O.L. L’auteur, membre de l’Oulipo, a expliqué la genèse de son petit livre poétique. Alors qu’il était de passage chez sa mère, que la télévision était en marche, il a entendu la présentatrice météo dire « nous allons perdre deux minutes de lumière ». Forte a saisi cet instant, comme un photographe saisirait l’envol d’un merle luisant en bout de haie, il l’a capturé, enregistré, sachant qu’il était porteur d’une poésie féconde et qu’il serait le moteur, la structure d’un ouvrage poétique.
Pour ce faire, maintenant qu’il avait la structure, le plan, il lui fallait les matériaux : ce serait un journal poétique, où l’auteur convierait ce qu’il souhaiterait au gré de son écriture. Enfin, manquait la méthode pour ériger cela, l’Oulipo y pourvoirait.
Accrochez-vous pour les contraintes : le livre est composé de sept parties (sept « chants ») dont chacune est représentée par un des sept mots du titre « Nous allons perdre deux minutes de lumière ». Nous : la communauté humaine ; allons : le déplacement, le mouvement ; perdre : l’échec, la désorientation, la mort ; deux : le couple, la dualité ; minutes : le temps ; de : la provenance, l’association ; lumière : la vue. (dixit l’auteur). Chaque partie est précédée du titre, en braille (absence de lumière), la nommant.
Un chant est composé de sept pages, chaque page contient douze vers de douze syllabes. Notez que je croyais naïvement que l’on appelait ces vers des alexandrins, alors qu’il faut plutôt parler de dodécasyllabes, car l’alexandrin a des contraintes plus resserrées.
Vous trouverez un peu plus bas un extrait du premier chant « Nous », les trois premières pages.
Rassurez-vous, nous allons un petit peu éclaircir tout cela pour nous dégager des pistes d’écriture moins ardue, si je puis dire avec un peu plus de lumière !
Première piste, écrire un texte qui aurait lui aussi pour schéma les sept mots « nous allons perdre deux minutes de lumière ». Chaque paragraphe aurait pour titre chacun des mots (dans l’ordre de préférence, mais ce n’est pas obligatoire).
Deuxième piste, « la poésie au quotidien ». Pour cela, il faut avoir l’âme d’un chasseur, vous mettre à l’affût et vous armer de patience. Comme l’auteur, au cours d’une journée : rencontres, visites, travail, courses… soyez attentifs à ce qui est dit, ayez l’oreille poétique, soyez prêts à capter un de ces instants de poésie qui nous environne au quotidien. Comme pour la photographie, ce n’est pas le sujet qui fait l’œuvre, mais le regard. Ici, ce sera l’oreille, il faudra dénicher la phrase, où le bout de phrase propre à être capturé. Ensuite, à vous de faire votre cuisine, en vous inspirant des recettes oulipiques ? Il faudra bien évidemment nous présenter ladite phrase et nous préciser (de préférence à la fin) quelles contraintes vous avez appliquées. J’ai testé pour vous la chasse et j’ai capturé à la radio ce midi : « nous voulions retrouver l’odeur du parfum » (j’ai aussi sept mots et un dodécasyllabe, miracle ?)
Troisième et dernière piste, un travail plus technique, plus artisanal, qui vise à utiliser une partie des contraintes déployées par l’auteur. Ecrivez des mini-chants : douze vers de douze syllabes, (notez que chaque chant de Frédéric Forte comporte lui sept pages de douze vers). Prenez pour sujet ce qu’il vous plaira, votre quotidien par exemple. Vous pouvez titrer chaque chant d’un mot pris dans une phrase emblême, pourquoi pas dans un dicton ?
Liste de proverbes français, là :
http://fr.wiktionary.org/wiki/Annexe:Liste_de_proverbes_fran%C3%A7ais
Nous allons perdre deux minutes de lumière
Nous allons perdre deux minutes de soleil
Nous allons gagner deux minutes de soleil
Nous allons gagner une minute de soleil
Nous allons gagner une baignoire de soleil
Nous aimons gagner une baignoire de soleil
Vous aimez gagner une baignoire de soleil !
Amusez-vous bien,
belle écriture !
Extrait de « Nous allons perdre deux minutes de lumière » :
(Sur le site de l’éditeur : http://www.pol-editeur.com/index.php?spec=livre&ISBN=978-2-8180-5049-1 )
Feuilleter le livre : http://www.edenlivres.fr/o/16/p/9782818050491?l=fr&r=http://www.pol-editeur.com
?????
difficile alors de savoir combien nous sommes.
je n’ai pas la photo sous les yeux. le sujet
de la phrase est à géométrie variable. un
peu comme pour le jour avec la météo.
aujourd’hui 6 mars 2017 il pleut.
on ne peut pas compter les gouttes mais les gens
et moi dans le RER ça fait deux. un nous
mobile qui se disperse au terminus gare
Saint-Lazare. plus tard on est à la maison
et si je compte le poisson rouge et le chat
alors avec les garçons toi et moi ça fait
2 + 2 + 2. c’est tout simple une question
d’arithmétique et d’espace. tous dans la même
pièce dans le même instant. il n’y a pas de nous
où je ne suis pas. à moins que. je me ressers
du thé sencha. on peut avoir l’esprit ailleurs
et dans vingt minutes aller chercher les enfants
à l’école. c’est déjà maintenant. c’était
hier. j’essaye de comprendre ce qui se passe.
entre nous une sorte de chant diphonique.
mon voisin de métro et moi nous regardons
sur son mobile la vidéo d’un combat
de rue. deux types torse nu l’un athlétique
l’autre obèse qui se collent de grosses baffes
devant un petit comité de curieux morts
de rire. il me faut descendre avant la fin. je
pourrais dire eux mais j’ai envie de dire nous.
nous. six petites maisons sur la vitre du
train tracées sans lever le doigt. ces choses-là
doivent avoir un nom. le paysage se
déplace. champignons. dans les arbres les nids
font des nous. ou le contraire. c’est le printemps.
hier c’était mon anniversaire. on pourra dire
tout ce qu’on veut j’ai l’impression d’être poreux.
grille de sudoku avec pas mal de cases
encor vides. ce n’est pas la mienne. l’est-elle.