Destination : 13 , Polyglottes
Karramba
Karramba!
Il trouvait un plaisir à répéter ce mot qu'elle ne comprenait pas, il
le disait à tout propos, détachant les syllabes, roulant les R, lui qui
ne les roulait pas d'habitude.
Cela l'irritait mais elle ne le lui disait pas, était-ce par respect,
par amitié ou par amour?
Elle n'arrivait pas à définir ce qu'elle ressentait pour lui.
Elle le trouvait sympathique, il la faisait rire souvent,
l'attendrissait parfois, il allait faire chavirer son coeur à la fin.
Elle ne savait pas ce qui l'attachait à lui, sa voix ou plutôt sa
tristesse qu'il voulait cacher par un rire qui semblait facile mais
qui sonnait faux? elle était tentée de lui en demander la cause mais
elle s'en retenait, de peur qu'il ne la trouve indiscrète. Plus tard se
disait-elle, quand il y aura moins de barrières entre nous.
Si cela ne tenait qu'à elle, elle lui aurait parlé chaque jour , elle
aimait cette heure du soir qui, comme un rendez-vous tacite, faisait
que l'un des deux appelle l'autre . Dépassée cette heure, il devenait
injoignable, il aurait fallu attendre le lendemain mais l'attente sans
la voix était insupportable, comme si au-delà de vingt quatre heures,
le coeur n'en pouvait plus de souffrir.
Ils se disaient des banalités, lui, flattant son égo , elle croyant
ses paroles.
Petit à petit, elle s'est laissée séduire .
Prise au piège de l'accoutumance de l'entendre, elle ne put toutefois
céder à la volonté de son ami de faire un pas de plus dans leur
relation.
Elle avait pensé " amitié " en le rencontrant la première fois, un
dimanche pluvieux au musée du Louvre, où elle était seule, seule de
cette solitude qui pèse si lourd sur les épaules et dont on voudrait
bien se décharger même si ce n'est que pour une heure de temps.
Occupée par ce qu'elle regardait, elle n'a pas senti la présence de
celui qui tantôt la précédait devant un tableau, tantôt s'attardait
derrière elle en s'exclamant: " Karramba! Karramba! ", il parlait si
fort qu'elle finit par le dévisager , il faisait peut-être
l'intéressant, se disait-elle, car il pouvait se retenir un peu , il
était loin d'être un gosse!
Très vite, elle ne savait comment, ils se sont mis à se parler en
français. Pour dissiper son étonnement, il expliqua : " ce mot est
comme un tic, il jaillit de moi quand je suis ému ou simplement
heureux".
Au café où il l'invita, pour " reposer leurs pieds " , ils firent plus
ample connaissance, ils se découvrirent des points communs, des lieux
d'habitation assez proches;
Que de souvenirs tout ça!
Au lendemain de son refus, un e-mail de lui vint tout basculer, juste
deux mots en très grand: " Ciao, Ciao " et sa signature en-dessous,
quelque chose lui disait qu'il était sérieux, qu'il n'allait plus
appeller ni ce soir ni tous les autres soirs.
A l'approche de l'heure du rendez-vous, ses yeux ont fixé la montre,
sa main s'est posée instinctivement sur le téléphone, s'y est attardée,
sa raison lui a dit " non ", son coeur lui a dit " oui", sa dignité lui
a dit " non", sa douleur lui a dit " oui ".
Elle a laissé passer l'heure.
Puis le temps est passé, elle n'a plus regardé la montre, toutes les
heures finirent par se ressembler.