Destination : 39 , Ecrire en chanson
Complainte d’ une ruine du temps jadis.
Au dessus du val et des vastes marigots,
En dépit de mon apparence guerrière,
Mes remparts se vêtirent de blancs surcots.
Mon destin fut d’être un fier monastère.
Ascète je fus donc, louant mes bénédictins,
De m’avoir accroché sur un roc comtadin.
A mon sort, je fis joyeusement allégeance.
J’ai chanté avec entrain, à l’unisson,
Laudes ou complies, chères à mes moinillons,
Gai, triomphant, sur ma ronde éminence.
Méconnaissant mon naturel accommodant,
De très longs siècles d’histoire sanguinaire,
M’ont condamné à l’abandon, brutalement.
Je vis moult combats et guerre centenaire,
Hantés de deuil, de sombres desseins belliqueux.
Le temps ne fut pas plus miséricordieux..
Victime de l’infortune, de la déshérence
Qui me stigmatisèrent, je pleure. Morbleu !
J’ai souffert dans ma chair de la peur et du feu,
Sous l’aromatique ciel bleu de Provence.
Voué à la sénescence, au désespoir,
Maintes fois oublié dans le vent qui blesse,
Seul, las, j’ai lancé dans la froidure du soir,
Des larmes de pierre, gage de ma détresse.
Entrelacées de lierre, mes fortifications
Gisent, subissant d’indécentes trahisons.
Passant ! Contemple mes roches décrépites
Vois l’hysope grignoter mes vieux escots !
Mes murs abritent le frêle coquelicot !
Pourtant, mon âme moussue encore palpite
Quand, accablé, importuné, pillé, détruit,
Je vois venir de tout pays, en farandole,
Au plus profonds de ma pitoyable nuit,
Érudit, savant, bienveillant bénévole.
Leurs mains déposent sur mes écroulements
Un baume salvateur. Avec dévouement
Ils pansent mes murailles dévastées
Et je leur livre mes séculaires secrets,
J’abandonne des confidences, sans regrets,
Des arcanes millénaires si bien gardés !
Dès lors, j’oublie chagrin et désespoir
Encore dressé sur ma verte colline
Dans ma parure de feuillage, sans douloir,
Paré de beaux atours estompant ma ruine,
Mon cœur antique se gonfle de ferveur.
Fidèle au passé, à mon ancien bonheur,
Tant pis si l’on se moque, si l’on se gausse
En souvenir des psaumes et des oratorios,
A tue tête et sans aigreur, prestissimo,
Je chanterai, tandis qu’on me rechausse.