Destination : 121 , Entre les murs, derrière les mots


L'AFFICHE

Monsieur MARTIN avait pris l'habitude de baisser la tête en marchant. Comme beaucoup d'autres personnes d'ailleurs. Naturellement cela donnait lieu à des collisions qui pouvaient être fatales. Qu'importe, la soumission à l'habitude avait annihilé le réflexe de survie.

Pourquoi, M. MARTIN, ce matin là, avait-il relevé la tête et vu l'affiche ? Il est des matins où nous croisons l'extraordinaire par le plus grand des hasards. L'affiche représentait un homme de dos, les mains et les pieds entravés. Deux policiers ou gardiens l'encadraient. Ils étaient massifs. Leurs poignes vigoureuses enserraient les bras de l'homme. Ils semblaient le soutenir. Le corps mince du prisonnier trahissait son épuisement, son accablement. Les trois hommes se dirigeaient vers une porte entrouverte. Une lumière crue s'échappait de l'entrebâillement. Le reste de l'affiche était assez sombre. Ce qui sidéra M. MARTIN était que le prisonnier avait les yeux bandés. On pouvait distinguer très nettement le noeud du bandeau. Pourquoi aveugler un prisonnier ? Que redoutait-on d'un homme mains et pieds liés ? Quelle force pouvait avoir le regard d'un être réduit à une totale impuissance ?

Monsieur MARTIN ne comprenait pas cette punition. La révolte montait en lui par palier. Bientôt, elle l'inonda. De son cartable de fonctionnaire il sortit un feutre rouge et il écrivit sur l'affiche « C'est une honte ! ».

Il ne vit pas une voiture noire aux vitres teintées qui approchait. Il se sentit soudain saisi par les bras.



FIN

EVELYNE W