Destination : 190 , Un horizon si proche


Horizon bouché

Se glisser dans la berline en se tortillant comme un serpent. D'un mouvement vif faire entrer les jambes chiffon. C'est fait. A présent, fermer prestement le fauteuil roulant comme un livre. Il s'aplatit. Devient une chose humble. Extraire la roue droite et la jeter sur le siège passager. Retourner le fauteuil et libérer la roue gauche, cela demande plus de temps. Les veines du visage et du cou se gonflent sous l'effort. Enfouir le fauteuil mais le garder à porté de main. Plus tard il faudra bien sortir de la voiture.



Je vois tout cela depuis la vitre du bus. J'ai eu tout le temps de détailler la scène le bus est stoppé par une voiture en double file. La rue est tellement étroite. C'est une vieille artère qui ne demandait qu'à dormir tranquillement entre école primaire, marchands de légumes et boulangerie. Mais un bus l'emprunte et les passants se plaquent contre les murs.



Quel âge a-t-il ? une trentaine d'années. Invalide à trente ans ... Je ne sais pourquoi mais je pense que c'était un motard. Il y en a beaucoup dans notre région. Ils se régalent : des crêtes, des routes en lacet et le soleil si présent. Je l'imagine enfourchant sa moto. Ce devait être une grosse cylindrée qui vibrait comme un fauve. Foncer, foncer en obligeant les voitures à se pousser. Dépasser toutes les limites pour ressentir encore ce frisson qui vous fait entrer dans le sublime.

Et puis l'accident. Monstrueuse projection vers le ciel avec l'éclatement dans le corps de la douleur en fusion. La chute lourde, violente et pendant tout ce temps un bruit prodigieux qui éclate les tympans.



Silence.



Quel âge avait-il lorsque l'accident est arrivé ? Plusieurs années en arrière, il a les bras et le torse musclé. Il faut avoir beaucoup de rage dans les mains pour apprivoiser et faire courir un fauteuil roulant.



Que regarder d'autre depuis la vitre du bus immobilisé ? Rien.

L'horizon est bouché.



Fin



EVELYNE W