Destination : 229 , Dans les forêts d'Ailleurs
VIDE
Que restait-il sur la table de la cuisine recouverte d’une nappe plastifiée blanche grisâtre avec des points bleus de taille disparates ? Presque rien. Une vieille assiette plate, une fourchette, un couteau, quelques miettes de pain. Elle avait encore faim mais cela n’avait plus d’importance.
Dehors le bruit de la mitraille. Son oreille à présent ne percevait que cela.
Devant elle, la nappe offrait une tache bleue plus grosse, difforme. Plus elle regardait ce point et plus il grossissait, il attendait quelque chose, elle le sentait.
Elle entendit des cris graves, violents, relayés par hautparleurs et d’autres cris plus aigus qui s’éteignaient soudain.
Elle approcha la fourchette avec son manche de corne sombre. Elle pensa « c’est comme une barrière devant le point bleu » Puis derrière elle plaça le couteau « là aussi ce sera protégé ».
Elle organisa les miettes de pain sur le point bleu ? C’était amusant, des rochers, des collines, des géographies fragiles que sa respiration pouvait déranger.
L’immeuble commença à trembler. Le bruit sourd de lourdes chaussures qui frappent les marches.
L’assiette à dessert de l’arrière-grand-mère ébréchée devint un navire. Elle s’y installa, franchit sans encombre la barrière de corail puis pénétra dans le lagon topaze. Un alizé chargé du parfum des fleurs sucrées soufflait. Montagnes et collines attendaient ses pas. Comme c’était bon cette harmonie avec le paysage. Elle respira profondément en souriant.
Lorsque la porte s’écroula sous les coups de crosse et de bottes, seul le vide accueillit la fureur meurtrière.