Destination : 237 , Nuit magique !
Une certaine nuit à Saint Paul de Mausole
Vincent coinça son visage maigre et osseux entre les barreaux de sa fenêtre. Il respira la nuit bleutée qui, peu à peu, avec une infinie patience prenait possession du ciel. Juin soupirait des parfums graves et sucrés qui vous caressait le cœur avec tant de douceur que les larmes montaient aux yeux.
Il était arrivé, le mois précédent, avec sa tête remplit de folie violente, des toiles, des couleurs, des pinceaux. Il avait voulu cet enfermement. Il voulait de toutes ses pauvres forces trouver une forme de paix. Le médecin était un brave homme plein d’écoute et de compréhension. Les sœurs étaient discrètes et bienveillantes. Le concierge le regardait avec bonté. Vincent se sentait adopté dans cet asile austère et monacal. Cela lui redressait l’échine et agrandissait son regard.
Devant lui un champ bruissait dans le souffle de la nuit et, le ceinturant, de hauts murs. Vincent plongea son regard clair dans la muraille et les pierres s’effacèrent. Il vit le minuscule village de Saint Remy resserré autour de son église avec son clocher, phare de l’égaré, et les Alpilles qui s’étageaient dans l’ombre et la lumière. Il inventa, parce qu’il vouait une passion à cet arbre provençal, un cyprès fantastique, un géant, un mégalithe sombre qui se torsadait en flammes ténébreuses et inquiétantes pour défier la voute encombrée d’étoiles.
Vincent vit le ciel, comme jamais il ne l’avait vu. Il sentit que Dieu lui offrait le prodigieux cadeau d’une nuit magique. Vénus l’hypnotisait avec son œil en roue de lumière vibrante, elle lui parlait « Je suis Vénus, je suis l’amour » Il aurait voulu l’étreindre et l’embrasser tant qu’il l’aurait engloutie et qu’il serait devenu un fils de lumière. La lune n’offrait qu’un quart de sa personne mais avec quelle force, quelle affirmation. Elle se moquait de Vincent qui lui préférait le soleil. Il dû détourner un peu le regard devant tant d’impétuosité.
Puis vint la phénoménale vague de nuage, une pure énergie qui électrisa Vincent. Elle submergeait le ciel, entraînant dans ses volutes laiteuses des étoiles éperdues. C’était le grand chaos cosmique qui s’installait en pieuvre vengeresse, rabaissant l’homme à sa ridicule échelle.
La tête de Vincent s’affola. Maintenant, maintenant ! Il alluma sa chandelle, saisit une toile et se mit à peindre avec fureur sa nuit étoilée.