Destination : 281 , Dame nature
Le figuier de barbarie
Une première barrière de dune de sable s’amollit au pied d’une autre géante sombre, que l’on croirait indestructible, sous un ciel gris glacé.
Moi, le figuier de barbarie, je vous le dis, tout s’effrite se décompose sous les vents violents dévoreurs de paysages fragiles.
Je veille de toutes mes épines, des plus acérées aux plus délicates, si perfides.
Je veille.
Les saisons passent sur mes larges oreilles qui fleurissent un peu d’or puis s’ornent de fruits joufflus que plus personne ne cueille avec respect
Je veille sur sa tombe blanche ornée de deux stèles. Une tombe musulmane bien à l’écart des autres tombes. Un cimetière oublié aux portes du désert.
Je veille mais les stèles, un matin ou un soir s’affaissent, se brisent. Il ne reste plus que de minces rectangles blancs que l’ocre du sable recouvre méchamment.
Qui se souviendra ? Moi, toujours. Mes racines courent vers elle, enterrée là, il y a si longtemps. Elle avait vingt-sept ans. Une beauté sauvage, passionnée. Elle n’était pas née homme, qu’importe elle se déguiserait. Sa bannière portée fièrement s’appelait Liberté. Liberté de contester la colonisation, de vivre et d’écrire au milieu des populations soumises.
Je veille et je vais vous conter la dernière nuit, la tragique nuit. En ce temps-là, les pluies d’octobre tombaient violemment, impitoyablement, d’un ciel d’enfer. Elles ont tant et si bien grossi et excité l’oued, pourtant si paisible, qu’il a, comme un fou, changé de lit. Il a dévasté, ruiné, anéanti la ville basse où se tenait sa maison. Modeste maison qui s’est effondrée sur elle, endormie.
Moi, le figuier de barbarie, je veille sur une tombe blanche, une tombe musulmane aux portes du désert et je n’oublie pas.
Evelyne Willey