Destination : 302 , Mets ta fiction !
Le titre est à la fin du texte
Je place le décor : Je suis en atelier d’écriture et je dois écrire un texte à partir d’une photographie. Description sommaire de la photo noir et blanc. (Pas de possibilité de faire une photocopie en couleur dans les locaux.) Une autoroute, une voiture aux portières avant et au capot ouverts, une jeune fille assise la tête basse contre la voiture. La nuit tombe.
Fais-je faire parler l’autoroute, la voiture ou la fille ? Va pour la fille. Je peux parfaitement m’identifier. J’ai failli connaître la même mésaventure sur une route paumée d’Espagne.
« Je suis là, à côté de ma voiture en panne, fatiguée, énervée, déçue et allez savoir pourquoi je pense à Élise. »
Pourquoi ce prénom ? Je n’en sais rien. J’ai dû entendre la Lettre à Élise de Beethoven sur France Musique, le matin même. On m’a fait la réflexion en atelier, vous donnez toujours un prénom à vos personnages. Ils surgissent d’eux-mêmes les prénoms, j’imagine un personnage et hop ! Une parcelle d’identité s’accole.
J’ai toujours beaucoup de peine à retenir les prénoms des gens.
« Rien ne l’effrayait. Même au fond du trou, elle trouvait toujours une corde à saisir pour remonter à la surface. »
J’ai un petit faible pour les personnages forts.
« Marre de crever de faim ! j’ai accepté un petit boulot dans un cirque »
« Qu’est-ce-que tu vas faire ? »
« Cracheuse de feu »
Le cirque, quel univers ! Si j’avais pu être trapéziste ! J’ai écrit « cracheuse de feu ». Je n’ai jamais vu une femme cracher du feu, seulement des hommes, maigres, torse nu, poitrine creuse, mauvaise dentition et l’odeur forte de pétrole. Je suis fascinée et dégoûté à la fois par ce genre prestation. Mais qu’Élise crache du feu cela me plait.
« Elle a toujours eu le don de m’épater. Vous l’auriez vu sur la piste entourée de clowns armés de tuyaux d’arrosage, le torse presque nu, les jambes moulées dans un jean luisant. Elle emplissait sa bouche d’un liquide sombre, attrapait une torche, crachait en direction du public et hop fichait le feu à sa projection. La terreur de ceux assis près de la piste ! C’était à mourir de rire. »
Aucun problème pour décrire la scène, elle se déroulait devant mes yeux. J’était dans le public. Miracle de l’écriture …
« Derrière elle, on avait installé quelques misérables décors de carton.
Un soir, alors qu’elle s’était disputée avec le directeur du cirque qui ne voulait pas lui donner son dû, elle a tourné le dos au public et elle a craché son feu sur le décor.
J’ai encore bien ri car le public a applaudi.
Elle a toujours eu le don de m’épater Élise. »
Je reprends : le don de m’épater. C’est vrai que j’aime être « épatée ». Je le suis rarement. Bon, je m’aperçois que j’ai allégrement oublié la voiture, l’autoroute, la fille assise la tête basse et la nuit qui tombe. Mais je vous ai emmené au cirque avec une cracheuse de feu (tiens ce sera mon titre), cela vaut un petit pardon …
Titre : La cracheuse de feu (je trouve toujours le titre lorsque j’ai fini d’écrire le texte)
Evelyne Willey