Destination : 362 , Tiré par la corde
La maison de campagne
Adolescente, j’ai été frappée durablement par la scène d’un film américain qui se déroulait en Alabama. On y voyait un homme noir, qui après avoir été battu, était pendu à la branche d’un arbre par des hommes blancs. Il gigotait, ses pieds battaient l’air, puis la tête tombait sur la poitrine et il ne bougeait plus.
Je vous raconte cela en préambule, car il m’est arrivé une aventure que je voudrais vous conter.
Mon ami D. avait acquis, pour une somme dérisoire, (cela m’avait intriguée), à deux heures de Paris, une modeste et vieille ferme à la toiture et aux murs extérieurs en parfait état. Il était heureux. Il allait enfin posséder sa maison de campagne !
Nous étions au tout début d’un printemps gaillard et triomphant. Le vent léger et parfumé virevoltait sur une nature foisonnante. Les oiseaux s’époumonaient. J’avais décidé de passer un quelques temps dans la ferme de mon ami, parti pour l’étranger. J’amenais avec moi « Casanova » mon chien joyeux et un peu fou.
J’ouvrais toutes les fenêtres. L’endroit était d’une simplicité émouvante avec une vaste cour pavée, percée par un puits pittoresque, une grange un peu délabrée, mais qui serait bientôt couverte d’un lierre au vert éclatant. « Casanova » jappait de bonheur, fourrant partout son insatiable museau
Je distinguais brusquement, dans le renfoncement d’un des murs de la grange, une grosse clef rouillée, oscillant au bout d’une épaisse et crasseuse ficelle, accrochée à un antique piton
Quelle porte pouvait-elle ouvrir ? Certainement un local dans la grange. Une soudaine curiosité me tarauda. La clef, dans ma main, pesait comme un souvenir trop lourd.
La grange était très poussiéreuse. Elle offrait la vision triste d’objets depuis longtemps abandonnés : tonneaux, outils en tout genre, vieux meubles de guingois et sur les murs une collection impressionnantes de cordes enroulées en vieux serpents endormis pour l’éternité.
Dans le fond, caché par l’obscurité, un escalier rustique menait à une soupente fermée par une porte. Je sus immédiatement que la grosse clef rouillée me permettrait de l’ouvrir.
Je montais avec précautions. Les marches craquaient, gémissaient, c’était un chant lugubre. J’ouvris avec peine la porte.
Lorsque je vis l’énorme poutre qui traversait le haut de la pièce, une émotion intense me saisit. J’avais de la peine à respirer. Je dus m’appuyer sur une paroi. Une certitude m’envahit, il s’était passé quelque chose de terrible ici et la poutre avait joué un rôle primordial.
J’ai mené une enquête. Effectivement, un homme s’était pendu dans la soupente, ne pouvant faire face à ses dettes. La ferme avait été vendu aux enchères, avec difficulté.
J’ai remis à sa place la vieille clef rouillée. Elle est moi avons choisi de taire ce que nous savions. Pourquoi gâcher le bonheur de mon ami D. tellement heureux de posséder une maison de campagne !