Destination : 7 , Objet banal mais capital.
Boucle d'oreille
Où est-elle, cette fichue boucle d'oreille, merde, à la fin, elle ne
s'est quand même pas volatilisée…
Mélanie cherche partout, presque de manière compulsive. Passe et
repasse en revue dans sa tête les différents endroits où elle
pourrait être. S'arrête deux secondes, réfléchit, puis prend d'assaut
le tiroir de la commode ou l'étagère de la salle de bain.
Une boucle d'oreille toute simple, en argent. Un long fil de métal
blanc brillant qui longe le bas du visage et puis le cou, qui parfois
même caresse un peu la clavicule quand la tête est penchée…
Une merveille de féminité, qui présente en plus la caractéristique
d'affiner ce visage que Mélanie trouve trop rond, trop enfantin.
Elle adore ces boucles d'oreilles. Et ne pas parvenir à retrouver la
seconde, alors que la première est sagement posée sur sa table de
nuit, la rend folle. Folle. Folle.
Depuis ce matin, elle cherche. Il est désormais 15h passées, et elle
cherche encore. Elle n'a pas mangé, ne s'est pas habillée, n'a pas
décroché le téléphone qui a sonné un nombre incalculable de fois.
Elle cherche.
« Allons, ce n'est qu'une boucle d'oreille », diraient les voix
rébarbatives des donneurs de leçons universaux, s'ils la voyaient
ainsi s'acharner…
Mélanie le sait bien. Mais elle veut la retrouver.
Elle a mis la salle de bain à sac, la chambre sans dessus dessous.
Rien. Toujours rien.
Elle le sait bien, au fond, que si le bijou n'est pas dans son sac à
main, il ne peut être nulle part ailleurs dans son appartement. Que
lorsqu'elle est partie, avant-hier soir, pour cette soirée, elle
portait les deux. Et qu'elle n'est rentrée qu'avec une seule. Que
l'autre a dû tomber quelque part en route.
Mais elle ne peut s'y résoudre.
Une énième fois, elle s'assoit sur le tapis du salon, empoigne son
sac à main avec rage, et le vide par terre, trifouillant sans fin le
bazar ainsi étalé. Elle pleure. Elle crie, aussi, sans doute, par
moments, sans s'en rendre bien compte.
Marc est arrivé vers 18h, comme d'habitude, après son travail. Il a
trouvé Mélanie à cette même place, assise sur le tapis du salon au
milieu du contenu répandu de son sac à main, prostrée, les genoux
ramenés sous le menton et les bras passés autour, se balançant
doucement comme un enfant autiste, chantonnant les standards de
Barbara qu'elle aime tant.
Il a balancé ses clés d'un coup, s'est précipité vers sa petite femme
tant aimée.
« Mon bébé, mon amour, ma puce… ».
Il la prend dans ses bras, la berce contre lui.
Elle met du temps à se relâcher, bloc de muscles tendus à l'extrême.
Puis en quelques instants, Marc ne tient plus dans ses bras qu'une
poupée de chiffon, sans résistance, corps dénervé sans réaction.
Il pleure, Marc.
« Mélanie, ma puce, je t'en prie… »
Elle ne réagit pas.
« Tu ne retrouveras pas cette boucle d'oreille, mon amour, je t'en
prie, arrête ça. Ce sal… Il te l'a arrachée, Mélanie, tu sais bien… »
Marc caresse doucement le lobe déchiré, encore tuméfié. Deux jours
seulement, tout juste un début timide de cicatrisation. Deux jours
que Mélanie cherche sans fin un bijou qu'elle ne retrouvera jamais
dans cet appartement.
Un instant de silence passe.
Marc s'efforce de calmer ses larmes pour pouvoir continuer à parler.
« Il faut qu'on y aille, mon amour. Il faut qu'on porte plainte. Que
tu vois un médecin. Et un psy. Qu'ils prennent soin de toi. On va en
crever, sinon… »
Mélanie se raidit, à nouveau. S'écarte de l'étreinte de Marc. Ne
semble qu'à peine se rendre compte de sa présence.
« Il faut que je retrouve cette boucle d'oreille, reprend-t-elle
d'une voix presqu'enfantine. C'est trop bête, à la fin. Où est ce
qu'elle a bien pu tomber ? »
Marc n'est pas coléreux. Il n'a pas la tête près du bonnet. C'est un
grand calme, placide, tendre et patient.
Mais là il sait que ça n'est plus possible.
Il empoigne Mélanie, la secoue, sans lui faire mal, mais qu'elle
réagisse, enfin.
« Tu ne retrouveras pas cette boucle d'oreille, Mélanie. TU NE LA
RETROUVERAS PAS, et tu le sais. Il te l'a arrachée avant de te
violer, ce foutu soir. Ça suffit, Mélanie, demain on va chez les
flics porter plainte. Il faut que tu arrêtes de faire comme si de
rien n'était. Je t'aime, je t'aime tant. Je t'aiderai. Mais demain on
y va. Sinon on ne s'en sortira jamais. »
Elle a crié. Un râle étrange, rauque, proche d'un « non », en se
bouchant les oreilles. Puis elle s'est agenouillée, en pleurant,
répétant à mi voix « il ne s'est rien passé, rien passé, rien passé ».
Quand Marc a essayé de s'approcher d'elle pour la serrer contre lui,
elle l'a giflé, puis s'est évanouie.
Il l'a couchée doucement, puis l'a veillée un peu, avant de se
coucher aussi, mort de fatigue et de chagrin.
C'est elle qui l'a réveillé le lendemain. Douchée, habillée. Les
traits tirés, assise sur le bord du lit, caressant doucement le
visage de son homme pour l'arracher aux bras de Morphée.
« J'ai jeté la seconde boucle d'oreille. Emmène moi au commissariat,
s'il te plaît. »
Puis elle a plongé son visage dans les bras de Marc, qui lui
caressait doucement les cheveux.