Destination : 176 , Destination durable


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« Un professeur fatigué devait se recycler ».

Telle était la chanson, l’éternelle chanson.

Cela revenait comme une maladie.

Le retour de l’éternelle connerie.



Fatigué, le prof, au pied du mur de l’incompréhension ?

Au tableau noir de l’ânerie ?

Devant le saint autel de la pédagogie ?



Fatigué, le prof ? Devait se recycler !

Telle était la chanson, l’éternelle chanson.

Cela revenait comme une maladie.

L’éternel retour de l’éternelle connerie.



Et c’était l’éternel retour des réformes biformes :

L’une défaisait ce que l’autre avait fait.

L’autre refaisait ce que l’une avait défait.

Ce qui faisait qu’on ne faisait rien.

A force de faire et de défaire et de refaire.

On ne faisait plus rien.

On faisait semblant de faire.

Banal et sans surprise, l’itinéraire

Du pauvre prof pris, Charlot moderne, dans l’engrenage :

Sonnerie-cours-sonnerie-cours-sonnerie-récréation dans la cour-sonnerie-cours-sonnerie-cours-sonnerie-récréation dans la cour-sonnerie…



De quoi ? Des automatismes ? Le prof tournait en rond ?

Fallait sortir des cycles !

Fallait le recycler !

Fallait le RE-FOR-MER !

Et revenait l’éternel retour de la réforme.

Et le prof changeait de forme :

Une vraie pâte à modeler !

Une vraie pâte, ce prof multi formable,

Si docile à recycler !

Car un professeur fatigué devait se recycler :

Telle était la chanson, l’éternelle chanson.

Cela revenait comme une maladie.

L’éternel retour de l’éternelle connerie.



Au début, au tout début, il y croyait.

Il avait pris à la lettre l’amour des lettres.

La sainte transmission du savoir des lettres.

Il écrivait sur le mur au tableau noir

En blanc les lettres : A noir E blanc…

Ah le beau Rimbaud :

Ah le mal des Fleurs :

Au début, au tout début, il y croyait.

Le professeur de lettres.

Il avait pris à la lettre l’enseignement des lettres.



Il se voyait tel un phare illuminé guidant le fabuleux bestiaire :

Des ânes, des cochons, des dindes emplumées, des veaux et des babouins…

Bénéfique Circé, il en faisait des humains !

Des êtres !

Des vrais !

Grâce aux lettres. Aux saintes lettres.

Le professeur de lettres, prophète, professait dans le désert.

Le désert jacassant du fabuleux bestiaire

Des ânes, des cochons, des dindes emplumées, des veaux et des babouins.

Au début, au tout début, il y croyait.

Le professeur de lettres.



Et puis vint 68 :

Fallait tout recycler !

Telle était la chanson, l’éternelle chanson.

Cela revenait comme une maladie.

L’éternel retour de l’éternelle connerie.



Fatigué, le prof !

Usé, épuisé, essoré.

DE-MO-DE !

Fallait le recycler !

Les lettres ? A mettre au cabinet !

La nuit du 4 mai décréta l’abolition du professeur de lettres.

Cours magistral ? Trop magistral ! Fini !

Vive l’innéité !

Laissons les ânes, les cochons, les dindes emplumées, les veaux et les babouins

Se découvrir tout seuls des êtres humains !

Ah le fabuleux bestiaire !

Le professeur de lettres devenait gardien d’oies.

Quel progrès, ma foi !



Un peu fatigué, l’ex-prof de lettres changé en gardien d’oies…

Fatigué, le prof ?

Fallait le recycler !

Telle était la chanson, l’éternelle chanson.

Cela revenait comme une maladie.

L’éternel retour de l’éternelle connerie.



Et puis vint l’idée sublime :

Tout ce fabuleux bestiaire que l’on gardait à ne rien faire

-Du tout-

Fallait qu’il continue

-jusqu’au bout-

A ne rien faire,

Mais rien faire du tout.

On déclara pour chacun le droit de faire semblant de faire

-des études ? De lettres ? Oh le gros mot !-

Jusqu’au bout.

Au bout du bout.

Jusqu’à l’usure.

Pauvre prof de lettres,

Cloué au pilori

Voué au chamboule-tout

Des ânolescents chéris.

Jusqu’au bout.

Au bout du bout.

Jusqu’à l’usure !



Fatigué, le prof de lettres ?

Fallait le recycler !

Oui, oui, on savait :

L’éternelle chanson, qui revenait comme une maladie,

L’éternel retour de l’éternelle connerie,

Et tout, et tout…

L’éternelle ritournelle n’aurait jamais de fin ?

Celle du prof, peut-être ?

Le pauvre prof de lettres.

Essoré, épuisé, démoralisé… ?



Allons, même à la retraite,

-retraitons les retraités !-

On s’en servait,

Du senior sénilisé :

Comme remplaçant bouche-trou,



Juste avant le grand trou.







Jose