Destination : 78 , Recette à la Prévert
pour saisir le bonheur
Pour saisir le bonheur
Pour saisir le bonheur
Ne pas courir. Il n’est pas dans le pré.
Un rien le fait fuir, dit-on. Surtout ne pas bouger. Le laisser s’apprivoiser.
Savourer l’instant.
Siroter l’été
Sous la treille, s’émerveiller du zonzon des abeilles ivres de pollen
Boire le soleil à grandes lampées dorées
Ecouter les sources chuchoter en catimini
Se laisser bercer, comme un bébé, par l’été
Laisser couler l’instant.
Surtout ne pas bouger
Rougir avec l’automne aux sumacs empourprés
Qui dit que l’automne est monotone ?
Parcourir les coteaux enflammés de brasiers multicolores
Ouvrir grands ses yeux
S’emplir des queues de paon des arbres triomphants offrant leur nuancier
Cueillir les dernières pivoines
Jouir des rayons déclinants, comme une bayadère s’alanguissant
S’épanouir
S’évanouir,
Interminablement…
Monotone, l’automne ?
Humer les riches flagrances de l’humus tapissé de mousses, de châtaignes, de feuilles amassées
Rêvasser aux romances de Cosma, de Verlaine, aux anciennes rengaines sans cesse ressassées
Aux amours mortes à la pelle ramassées
Aux violons qui sanglotent, repenser
Aux langoureux amants tendrement enlacés, aux amants de Doisneau qui jamais ne se lassent de s’embrasser
Laisser mûrir l’instant
Surtout ne pas bouger
S’étonner toujours du blanc velours des premières neiges calfeutrant les chemins
Entendre soupirer le chien devant la cheminée où craquent les derniers sarments
Poser sa joue au creux d’une main chère
Nul besoin de serments enflammés : s’aimer, tout simplement
Laisser s’éteindre lentement la paisible lumière
Dormir, avec l’hiver
Laisser mourir l’instant
Surtout ne pas bouger
Quand, soudain, débâcle printanière, ton cœur bondira, quand ton cœur s’ébrouera comme un jeune chien fou,
Ris, pleure, crie, renverse les barrières,
Comme un vol d’alouettes rêves éparpillés,
Tels de vifs martinets cisaillant l’air dans les clochers encorbellés que tes rêves vrillent le ciel écartelé
Crie, casse, brise les glaces muettes, écorche ton cœur sur les fils barbelés
Mitraille aux meurtrières, brave les barricades, porte l’estocade aux routines surannées, aux doux, aux tièdes, méprise tes aînés, manifeste, revendique :
« Sous les pavés, le bonheur ! »
Quel vacarme !
A force de le réclamer, à force de crier « aux armes ! »
Il a pris peur,
Le bonheur.
Il a filé.
Le bonheur est dans le pré, cours-y vite, cours-y vite…