Destination : 108 , Polyésie


Réanimation

Elle était là, murée dans le bureau d’à côté
Retranchée dans sa citadelle de silence
Protégée par le fouillis les heures écoulées en cadence,
Elle se taisait, comme les vieilles sur un banc tricotaient.

Elle n’attendait rien, ne voulait rien, ne vivait rien.
Elle était juste fatiguée, d’une fatigue longue et lourde
Venue d’années de sommeil sans rêve, se sentait gourde.
L’Autre ne cessait de bouger, parler, s’agiter dans l’espoir d’un lien.

Elle répondait patiemment, se taisait soudainement,
Soupirait parfois, s’énervait de tant d’agitation ;
Elle ne se sentait pas prête à vivre, ne voulait plus de passion.
L’Autre avec toute sa volonté continuait à pousser la porte vaillamment.

Elle n’était pas à l’aise et ne comprenait rien à ce qui se passait.
Ces jeux de rôle, cette soudaine velléité de pouvoir, ce subi enjeu
L’agaçaient, la déstabilisaient, dans ses retranchements Elle se sentait poussée ;
Elle rassembla ses forces, son énergie et lentement entra dans le jeu.

L’Autre resta un instant surprise, fit aussitôt face à l’adversaire qui se réveillait enfin.
Alors Elle continua à décocher quelques flèches, fit quelques pirouettes sans trop de difficultés,
Elle reçut quelques coups, en esquiva d’autres promptement et s’arrêta soudain.
L’Autre en resta interdite puis réfléchit très vite et déclara la fin des hostilités.

Elle était soulagée et comptait bien reprendre le cours de sa non-vie.
Déjà Elle avait recommencé à se taire, n’échangeait plus que le minimum requis,
Elle recommençait à bailler sans s’étirer, à sourire froidement, Elle s’éloignait
D’une vie qui l’ennuyait, Elle retournait dans ses nuages gris et somnolait.


L’Autre n’avait pas dit son dernier mot, elle continuait à ouvrir la porte sans prévenir ;
L’Autre parlait toujours autant mais ne posait plus de questions, elle regardait, observait.
Toutes deux ne se jaugeaient plus, elles commençaient à regarder par delà leurs nuits ;
Discrètement Elle écouta des bribes de vie, Elle commença à sentir et à s’étonner.

Derrière cette silhouette altière, sous ce masque d’Athéna moderne
Elle en sentait une autre, Elle devinait une blessure ancienne, une plaie.
Ses sens en alerte lui parlaient de danger, de vie aussi, Elle voyait les cernes,
Les yeux parfois trop brillants, Elle entendait cette voix et ce qu’elle taisait.

L’autre surgissait quand Elle ne l’attendait pas, s’installait en face d’elle tranquillement.
Elle savait déjà qu’il était trop tard, Elle ne savait pas encore vers quoi Elle s’embarquait ;
L’autre commença à faire des remarques et posa des questions presqu’ingénument,
Elle ne s’y attendait pas, s’insurgea en elle-même, personne jamais n’avait osé.

Elle répondit sans détours croyant en terminer rapidement et définitivement,
Elle entra dans un univers inconnu et insoupçonné et n’en repartit pas ;
L’autre avait décidé de la ramener sur la terre ferme, Elle se laissa faire mollement,
Elle écouta les histoires, s’y intéressa, fut touchée, Elle ne remercia pas.

Embarquée sans gilet de sauvetage sur des eaux profondes, tantôt très chaudes
Tantôt très froides, rarement accueillantes, Elle ferma les yeux et navigua à vue.
Plongée dans un tumulte nouveau, Elle descendit des torrents, rebondit sur des geysers
S’accrocha dans son bateau et débarqua sur une rive habitée par les humains.

L’autre était là : elle l’attendait souriante, détendue et lui tendit la main ;
La traversée s’était finalement déroulée sans incident majeur, Elle respirait enfin.
Elle regarda cette Autre, l’apostropha sans douceur et se décida à dire merci,
Elle s’étira tel un chat, sourit et sentit enfin la chaleur du soleil et de la vie.


Alors tout doucement, Elle commença à parler à sa nouvelle amie, Elle raconta
Par bribes décousues, une partie de sa traversée du désert, Elle dit ses doutes,
Elle fit des images de ses espoirs, elle les accrocha pour mettre en déroute
Les maux de l’Autre, avec son nouveau soleil Elle la réchauffa, du moins Elle tenta.


Aujourd’hui Elle sait qu’elle a eu beaucoup de chance de la rencontrer
Elle veut juste lui dire MERCI, et comme le disait Aragon : « je te porte dans moi comme un oiseau blessé » et même quand tes plaies seront refermées je te porterais en moi parce que tu es mon amie.

Lola