Destination : 45 , Marathon de mots
Logo-marathon de 42 lignes (épreuve reine pour les masochistes)
Un prosateur inconnu occupait ses dimanches
au jardin : râteler, planter, repiquer, arroser,
chacun de ses gestes machinaux, toujours répétés,
constituait une pause prologue à une semaine paisible.
Ce bureaucrate oubliait là, les mains dans la terre,
les entrepreneurs soumissionnaires qui envahissaient le tribunal,
les émondeurs qui y allaient au bluff pour séduire
des touristes crédules, les coureurs de guilledous
sans scrupules qui abusaient de jeunes vierges naïves...
et j'en passe et des meilleures. Il n'avait que l'embarras
du choix du dossier ennuyeux qu'il aurait à traiter.
Quand il avait fini de jardiner, l'esprit au clair, il
s'assurait ensuite un tête à tête avec une bonne
bouteille, derrière la grille de sa porte, parfois en
compagnie d'un croque-mitaine repenti qui vendait
des strobiles aux pêcheurs pour quelques billons.
"Il faut que je pense à rendre la cartouchière de
Monseigneur, pensa-t-il en répétant sa plus
belle révérence. Et lui dire aussi que j'ai fini
le marouflage de sa belle veste de cuir, il m'en
saura très certainement gré."
Monsieur Van Huee avait sa parenté dans la
haute société flamande émigrée en Crimée,
ainsi qu'en témoignaient des portraits couleur
sépia de monsieurs sévères au teint anémié et
portant barbe, dans le grand pavillon rectiligne
de sa maison. Mais il ne restait guère de fortune à cet
héritier et il gagnait de quoi manger en servant le riche
propriétaire dont les pâtures jouxtaient sa demeure vide.
Quand il ne savait pas quoi faire, il s'amusait parfois
à intervertir les photos de ses ancêtres inconnus,
et il restait là, longtemps, assis dans la lumière pâle
qui frappait le dallage de la galerie aux tons délavés.
Il cherchait son histoire dans les toiles d'araignée
nichées sur les boiseries de son manoir, mais
il ne trouvait rien, pas même des souvenirs.
Mélancolique, il finissait souvent la soirée
en regardant les pirouettes d'une petite fille
qui jouait au cerceau, dans la rue.
Le chant des grillons habillait la campagne
dans le crépuscule estival.
C'était encore un beau dimanche qui s'achevait.