Destination : 7 , Objet banal mais capital.
L'objet du renouveau
C’est pas vrai, qu’est-ce qu’il fait ? Encore une soirée à l’attendre…cette fois-ci, c’est la soirée de trop. Ça ne peut plus continuer comme ça. C’est la combien ? Pfff, je ne sais même plus. Comment je vais tourner ça… je réfléchis quelques minutes, puis je décide que ça viendra comme ça viendra. Je m’assois et regarde autour de moi, à ce qu’on a construit. On était bien dans ce petit appartement pourtant. En tout cas, moi cela me plaisait. Il faut que je lui parle dans ce salon. C’est ma pièce préférée, elle me calme et j’en aurais bien besoin de calme ce soir. Les tons du salon sont gris, gris perle et les rideaux blanc cassé. Je voulais créer une ambiance zen, un lieu où on peut se retrouver, se partager, échanger. Un endroit protégé du stress, des soucis, des questions sans réponses…. Et là, les questions sans réponse (ou avec des réponses à la noix), j’en ai ma dose. Je fais une cure…. J’allonge mes pieds sur la table de salon après avoir retiré mes chaussures et respire un grand coup. Je fais attention à ne pas faire tomber la cadre de notre photo que nous avions pris en Grèce, il y a quelques années. Nous étions beaux…oui, « étions » est le bon temps de conjugaison. Maintenant, nous sommes….comment dire, grisés, absents, lointains. C’est assez pour se sentir mal non ? Je penche la tête vers la droite et regarde mon meuble télé, foncé également et je vois une autre photo de nous, près du Grand Canyon. On est tombé dedans j’ai l’impression. Je penche la tête vers la droite et observe mon buffet colonial (eh oui, il faut tout faire dans le même style pour créer une belle pièce), que j’en ai économisé de l’argent pour me le payer ! Je l’ai orné de quelques babioles, un vide poche où nous vidons jamais nos poches, une statue de femme africaine achetée sur un marché portant un pot sur son épaule (quelle courageuse), une petite boîte à tiroir en chêne, cadeau de montagne que Sam m’avait offert lors de nos vacances d’hiver….. Bon, il arrive ou quoi ! Soudain, j’entends sa voiture. Je reconnais toujours son moteur, j’en ai trop l’habitude, attendre et attendre son bruit de moteur…. Je me lève, remets mes talons, j’ai besoin de quelques centimètres de plus pour l’affronter…oui pour moi, la taille est importante. Tout est dans la tête je sais bien…Ma mère est petite et pourtant, ce petit bout de femme ne se laisse pas faire croyez-moi. J’entends la clé dans la serrure et reprends une grande bouffée d’air, ma dernière…
- Bonsoir chérie, tu es la ?
Il apparaît au bout du couloir. Il pose sa serviette de travail et me regarde, sourire béat.
- Bonsoir Sam. Ce soir, ce n’est pas chérie, doudou ou je ne sais quoi d’autre. Ce soir, on est juste Sam et Julie. Il faut qu’on parle. Où tu étais ?
Il enlève sa veste, lève un sourcil, le gauche, et :
- Où veux-tu que je sois ? Au travail pardi.
- Il est Vendredi, jour où, d’habitude, tu finis à dix-sept heures. Il est dix-neuf heure quarante-cinq.
Il s’approche pour m’embrasser, je recule. Ah non, il ne m’aura pas comme ça. C’est bien le truc des mecs ça, les attendrir….et bah ce soir, je déjoue leur plan d’action.
- Mais qu’est-ce que tu as à la fin ? J’ai eu une réunion qui n’était pas prévue, je ne t’ai pas appelée pour ne pas perdre du temps et rentrer au plus vite. Que vas-tu imaginer ?
- Elle a bon dos la réunion. Figure toi que Paul, ton cher associé a appelé pour savoir si tu étais rentré. Tu vas me dire qu’il a loupé la réunion, bizarre vous qui êtes les deux doigts de la main, dans la vie comme au travail.
Il s’assit. Un point pour moi.
- Ecoute, on ne peut plus continuer comme ça Sam. Je commence à douter de toi, et je me suis toujours promis que si on en arrivait là, ce n’était pas bon, pas bon du tout. Cela fait de semaines que tu rentres tard, trop tard à mon goût et ça ne te ressemble peu. Tu me donnes des excuses bidons, tu es dans tes pensées, tu es loin, quand je te parle, tu réponds à côté. Quand j’interroge Paul sur votre travail, il me dit que ça va, que c’est calme en ce moment. Alors, tu peux comprendre que je me pose des questions.
- Tu as trop d’imagination Julie. Arrête les feux de l’amour.
(Julie ? C’est mauvais signe).
- Je t’aime toujours, crois-moi. C’est vrai, je suis moins présent en ce moment et je m’en excuse. Je ne sais pas quoi te dire…
- Tu ne sais pas quoi me dire ? C’est un gag ? Où est la caméra cachée ? Et bah mon cher, je vais t’aider si tu ne sais pas : la vé-ri-té. Je ne te reconnais plus, tu ne m’offres plus rien, on ne sort plus, on rigole plus, on ne fait même plus l’amour, enfin moi de mon côté…
Je m’assois à mon tour. C’est trop fatiguant de dominer. Dire tout haut ce que je pense tout bas est d’un seul coup dur, j’analyse, je me rends compte et ça me fait peur. Ça veut dire quoi ? C’est fini…. Ca fait six ans qu’on est ensemble, c’est mon premier amour…. Je ne voulais pas que la routine s’installe et elle s’est plus que installée, elle s’est incrustée. Un frisson me parcourt, j’ai chaud, j’ai froid. Une larme coule, puis deux. Je ferme les yeux.
- Je ne suis pas heureuse. Je l’ai été, mais là, depuis peu, je ne le suis plus. Qu’est-ce que tu as ? Tu as quelqu’un d’autre, tu veux me quitter, ou pire tu es malade… Pourquoi tu n’es plus Sam, mon Sam. J’ai besoin de toi, de ta chaleur, de ta force, de ton rire, ta complicité. Regarde ces photos, ici et là, on était heureux, on était bien. Tu ne me fais plus de cadeaux, je ne suis pas avec toi pour ça, mais ça faisait le charme de notre vie. Une surprise par-ci, une par-là… Prends cette boite sur le buffet par exemple, tu me l’as offerte quand on était en montagne. Je l’ai adorée au premier regard. Je ne l’ai pas achetée, tu m’avais dit que j’avais déjà trop dépensé… puis un soir, tu es revenu avec cette petite boîte. Tu avais lu dans mes yeux, cette envie, on n’avait pas besoin de parler. Moi, je ne lis plus rien dans ton regard, et toi, tu ne vois même pas mon mal être.
Je m’arrête, je me suis trop vidée. Ça fait mal. Il prend alors la parole.
- Je ne voulais pas te faire souffrir. Ça n’était pas mon attention et cela me déchire le cœur. Je m’en veux d’avoir agis de cette façon. En effet, ce n’est pas moi. Je ne sais pas ce qui m’a pris. Ca fait des semaines que j’y pense, je ne sais pas comment te le dire, te l’avouer et je n’arrive plus à avoir une vie à côté. Tu me parle de cette boîte, c’est drôle… je voudrais que tu ouvres cette boîte s’il te plait.
- Tu ne crois pas qu’on a autre chose à faire que d’ouvrir la boîte ?
- Pas moi, toi ouvre cette boîte, moi je sais ce qu’il y a à l’intérieur.
De quoi il me parle, il a fumé ou quoi… Quand je disais qu’il me répondait complètement à côté de la plaque. Afin d’en finir, je me lève. J’ouvre le premier tiroir, rien. Je le regarde. Il me fait un signe de tête. J’ouvre le deuxième, toujours rien. Je perds patience. J’ouvre alors le troisième et merci, le dernier, et je découvre un petit étui noir à l’intérieur. Mon cœur s’accélère. Je prends cette petite boîte. Mes mains sont glacées. Je me tourne vers lui, à nouveau. Il me dévisage…
- Tu pourrais te dépêcher à l’ouvrir si ça ne t’ennui pas.
Patience et Sam, ça ne colle pas. J’ouvre alors cet objet, mystérieux, et découvre son contenu. Le mystère ne s’est toujours pas dissipé. Alors, je bouscule mes neurones et essaie de faire le lien entre cet étui et notre relation. Puis je comprends, j’imagine, je rassemble, je fais le lien. Cette clé, à l’intérieur de l’étui, je ne la connais pas. Elle est belle, toute en argent, avec un minuscule nœud rouge autour. Elle ouvre une porte, nouvelle, un autre lieu, un autre cocon.
- Ça m’a pris des semaines pour acheter cette maison, le notaire, les agences, les visites… J’en dormais plus. Paul, je ne l’ai pas mis au courant, gaffeur comme il est ….
Je me force à détacher mon regard de cette clé et le regarde. Il me sourit, le sourire qu’il fait avec les yeux, le sourire qui m’a séduite il y a six ans.