Destination : 4 , Je voudrais que quelqu'un m'attende quelque part.
Attends-moi...
Oui, je sais bien, je prends le train en marche ou plutôt les destinations. Mais comme le disait, si bien, ma grand-mère maternelle, il n'est jamais trop tard pour essayer de bien faire.
Me voici donc avec ma feuille, blanche certes, mais prête à être remplie de tout l’amour qu’il y a en moi pour toi. Une lettre qu’emporterait le vent vers nul part, dans aucune boite aux lettres, mais directement à ton cœur. Ou peut-être bien, que je la mettrai dans une bouteille et que je jetterai à l’eau… Ensuite, les vagues et les marées feront le reste...
Voilà, quatre ans, quatre longues années que les mots se bousculaient, s’emmêlaient, se pressaient, au bord de mes lèvres et de mon cœur sans pourvoir en sortir. Ma tête, obstinément, avait décidé qu’elle les garderait pour elle. Seulement, voilà, mon cœur et mon désir de te parler a été le plus fort.
Quatre interminables années depuis que tu es partie de l’autre côté du rivage.
Aujourd’hui, c’est décidé. Je t’écris, enfin, ces quelques lignes, car j’en ai besoin et parce que tu me manques terriblement.
Le jour où tu as dû partir, je me suis sentie si seule et perdue, j’ai eu mal dans tout mon corps, dans toute mon âme. Je savais qu’une partie de moi allait partir et que je devais laisser partir.
Je savais aussi, que tu devais le faire. Curieusement, aucune larme n’a jailli et mes yeux sont restés secs comme un puits qui aurait trop donné et à qui il ne reste plus une seule goutte d’eau.
Par cette chaude journée, le papier de ma lettre commence à se couvrir de gouttelettes et forment de jolis ronds, comme le ferait la pluie venant troubler la quiétude d’un étang, trop longtemps, resté tranquille. J’espère, seulement, que l’encre ne sera pas trop diluée et que mes mots seront encore lisibles.
Il y a quatorze ans, maintenant, et même plus encore que tu es entrée dans ma vie.
C’était une belle journée ensoleillée, un peu comme celle-ci. Tout me semblait si beau, alors.
Avec toute la vie devant nous. Qui aurait pu dire ce qui allait se passer… Personne, sans doute.
En attendant, ces quelques années volées à la vie, furent pour moi, les plus belles. Tu m’as donné le plus merveilleux cadeau que l’on puisse recevoir, ton amour, ta présence.
Tu as gonflé mon cœur d’un immense bonheur, comme le petit enfant gonfle son ballon de baudruche pour le faire voler, je me suis sentie aussi légère que lui. Ce jour-là, je suis née avec toi. Tu m'as fait grandir.
Tes grands yeux bleus… Ceux sont eux que j’ai vus en premier, ils me fixèrent et me reconnurent. Je ne me lassais pas de les regarder, comme si je voulais me perdre dedans. Vint, ensuite, ton sourire, si craquant, si doux et qui aurait désarmé le cœur le plus froid.
Puis, ton odeur me chatouilla les narines, une odeur suave, sucrée qui donnait envi de croquer. Un parfum qui désarme tant de maman... Et de papa.
Le son de ta voix fût le plus joli bruit qu’il m’est, jamais, été donné d’entendre. Notre premier contact fut un moment magique, intense. Ce fut la promesse de petits et grands bonheurs que nous allions vivre et partager.
Cependant, au plus profond de mon être, une petite lumière s’était allumée, rouge et impérieuse, m’avertissant que les jours nous étaient comptés. Que le temps nous pressait de mettre les bouchées doubles.
Les petites, mais si riches années que j’ai eues avec toi, je les ai vécues intensément. En dix ans, tu m’as offert ce que peu de personnes offrent dans toute une vie.
Un très long et pénible parcours a commencé pour toi, un matin d'octobre, quant au scanner les médecins ont vu une grosse tâche à la base de son cerveau.
J'ai cru que je vivais un vrai cauchemar, que la vie, soudain, s'était arrêtée et grâce à toi, j'ai eu assez de courage pour surmonter l’épreuve qui soudain s’abattait sur tes épaules.
Dans ce long, horrible et inégal combat, tu étais seule, mais malgré cela, malgré ton petit corps déjà si meurtri, tu ne t’es jamais découragée. Pourtant, tu avais suffisamment souffert et supporté de choses bien trop lourdes pour un seul être et qui plus est une enfant… Tu m’as donné la force d’aller de l’avant et d’avoir confiance en la vie. Tu as été si pleine de courage, de force et de patience. Tu as voulu me préserver par ta tendresse. Pourtant, ta souffrance était si grande, bien des fois, tu as du, te sentir seule face à elle. Elle, qui n’a eu aucune pitié de toi. Que j’ai pu la détester…
Ne dit-on « Qu’à toute chose, malheur est bon » ? Je ne sais si c’est vrai.
Quoiqu’il en soit, dans ton pénible parcours contre la maladie, la vie a bien voulu te faire un petit clin d’œil et tu as pu approcher de très prés des dauphins.
Ces splendides créatures, si puissantes, pourtant tellement pleine de douceur et de sensibilité.
Comme tu étais émue… Je n'oublierai jamais tes doux yeux bleus, grands ouverts, émerveillés devant ces dauphins, ni ton magnifique sourire. J'avais en face de moi, l'image de l'innocence qui pour un court instant oubliait la douleur, et le mauvais sort que la vie lui avait joué.
J'aimai quand tu venais te pelotonner dans mes bras, comme un petit chaton en quête de caresses.
Je sentais ton frêle petit corps tout chaud contre le mien et l’espace de cet instant de tendresse, nous oublions tout le reste…Le temps s’arrêtait pour nous…
Je prenais alors un livre et je te racontais une histoire, tu adorais m'écouter et tu t’imaginais être le héros ou l’héroïne de l’histoire. Un soir où nous étions serrées l'une contre l’autre tu me dis que bientôt, tu te transformerais en étoile et irais rejoindre toutes celles qui se trouvaient déjà dans le ciel et que d'en haut tu serais là, pour moi. Je n’en doute pas une seconde…
Un matin, je ne me souviens plus du temps qu’il faisait, je ne voyais que toi. J’ai senti que le moment était venu, celui que je redoutais tant. En même temps, je le savais, ce serait une délivrance pour toi. Tu as tourné légèrement la tête vers moi et tu m’as fait un doux sourire. Alors, la gorge nouée, je t’ai dit : "Pars ma chérie, envoles-toi, maman t'aime et t'aimera toujours". Tu as serré doucement ma main et tu as pris ton envol. Quand le médecin m'a dit que c'était fini, je ne l'ai pas cru tout abord, mais ta petite main que j'avais toujours dans la mienne ne réagissait plus et là, j'ai eu une immense déchirure en moi, un grand vide.
Mon amour, ma fille chérie, tu étais partie pour un lieu qui je l'espérai, serait plus clément envers toi.
Ton passage sur cette terre fut de courte durée, mais malgré cela tu y as laissé une empreinte indélébile.
Toi, seule, sais ce qu’il y avait dans mon cœur pour toi, mais je voulais, encore te le redire dans cette modeste lettre pour toi, ma douce lumière.
Cette lettre jetée dans cet immense océan qu’est la vie, est pour te remercier d’être née, te remercier d’être devenue mon enfant, de m’avoir fait maman. Merci d’avoir existé et d’exister encore.
Dis-moi, toi qui à tant accepter, toi qui étais si épuisée par tout l’effort que tu as fourni, pour lutter contre ce monstre. As-tu découvert ce lieu où poser enfin ton courage.
Surtout, si tu as, réussi à trouver l’endroit vers lequel tendait ton âme, fais-le moi savoir…
De toute façon, je n’ai aucune crainte, je sais au fond de moi, que quelque part, où que tu sois, tu m’attends…
Ta maman
Maribel G. Martinez