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Le Vide et le rien 2
Je me suis toujours sentie en communion avec la nature, la glaise, la boue, les mains pleines de terre, promesse de vie, territoire des autres, si petits soient-ils.
Impossible de tuer la moindre de ces créatures, merveilles de
l'évolution. Chacune joue son rôle dans la chaîne, laissant d'elle trois fois rien pour combler le vide.
Je sais pourtant que chaque tout petit espace est une jungle féroce en miniature: manger ou être mangé, tout cela en vue de la fin ultime, se reproduire du plus petit au plus grand! Ne rien perturber pour combler le vide de la nature.
Dans quel but... MYSTERE... Que de leurres pour nous amener comme un rien à l'acte ultime, sauter dans le vide, avides de survivre à nous-mêmes!
Couchée sur le dos, sur le sol, immobile, sans penser à rien, l'esprit vide, sous les étoiles innombrables, je sens mon corps s'enraciner dans la terre et aspiré par le vide de la voûte céleste impassible .
La terre a un goût salé sur ma langue.
Je suis Gaïa, la planète mère. Elle est moi et tout ce qui pousse, vit, s'enroche, s'écoule, se vide. Nous sommes elle.
Sommes-nous seuls dans ce Rien traversant le Vide... MYSTERE....
Autant ne voir rien que des questions vides de sens dans tout cela, autant faire à vide, le voyage du non-sens avec Alice! Traverser le miroir! Rien de plus!...Rêver! Passer, mourir, se consumer et retourner poussière à la terre accueillante!
Qu'on ne me parle pas de mauvaises herbes, la nature sauvage est bien plus belle que vos jardins de rien, tous pareils ou presque.Je veux vivre une vie de mauvaise herbe réchauffée par le soleil, abreuvée par la pluie. Je suis belle, refuge des insectes, porteuse des oeufs de papillons.
Mais ça c'était avant, avant la chute dans le puits sans fond, vide, noir, et froid. Et puis, plus rien! Perdue à l'intérieur de moi-même, je ne me reconnaissais plus...
Avant j'avais des plantes plein mon bureau. Un peu de "vraie" vie avec de la sève, des feuilles, au beau milieu de la "vie artificielle" des "0" et des "1" , rien que des créatures informatiques, qui attendaient impavides, que leur temps vienne!..
Chacune des plantes portait le nom de celle ou celui qui me l'avais donnée, minuscule bouture de rien que je soignais avec amour. On disait que j'avais les mains vertes....Sûrement, car elles se sont transformées en forêt vierge, ne me laissant rien de vide, à peine la place pour mes livres.
Je les aimais. Elles m'aimaient aussi.
J'ai du les quitter. J'emmenais mes préférées le coeur vide, vers d'autres horizons.
J'admirais leur pouvoir d'adaptation, leur voracité à croître, à fleurir.
Mais le Mal noir m'emplissait petit à petit l'esprit de vide, cancer de la pensée, mort lente, angoisses pour un rien...
Et je ne pouvais même pas pleurer.
Mais elles, prospéraient toujours.
De toute façon, je ne survivrai pas à l'hiver, je ne garderai rien. Et je laisserai se détruire ce qui m'importait le plus, mon lien ténu avec la nature, avec mes plantes, passerelle au-dessus du vide.
Je voulais observer l'agonie, la souffrance, la charogne, la lutte pour la vie, sans doute par curiosité et aussi par peur, de rien moins que de ma propre fin, de ma vie vide de sens.
Certains jours, vides d'envie, j'allais si mal, que je peinais à ne faire rien que quelques pas pour constater les dégâts. Des feuilles jaunissaient, tombaient. Des branches séchaient, se tordaient. Des cactus mourraient d'un coup, s'affallant et ne laissant qu'une bouillie brunâtre, puis plus rien que du vide.Un jour, le gel a eu raison des plus belles, petites fleurs roses, petites fleurs bleues...
Ne restaient rien que de grands squelettes droits et grisâtres qui maudissaient le ciel vide...
Une des dernières plantes vivantes va mal, feuilles tombées,
jaunissantes, quelques vertes encore, dans un fouillis de lianes noirâtres. Je poursuivrai jusqu'à la fin l'observation de la décrépitude, de la pourriture, de la mort, des bêtes qui s'en nourrissent, comme une sorte de catharsis, pour exorciser la fin, la disparition.
D'urgence il fallut recourir, aux psy , aux traitements chimiques et aux soins en clinique ... J'ai vu là-bas des choses inouïes, insensées, terribles que je n'ose raconter ici.... et le vide sur les visages et les corps cadavériques des jeunes filles anorexiques me paralysait, la peur dans les yeux de patients que rien ne fera sortir d'ici m'effrayait. Ils ont déserté le monde et vidé leur esprit pour rayer
des pans entiers et insupportables de leur vie. Ils ont effacé
La souffrance et ne savent plus rien.
Quant à moi, peu à peu, j'ai changé d'avis, je ne veux plus mourir, du moins pas pour l'instant....
Un misérable cactus a eu la force de se sauver du désastre et de vivre!...
Un petit genévrier tout piquant aussi! Sûr que la mort a eu peur....
J'ai planté des jonquilles, des narcisses, des jacinthes et des tulipes.Les orchidées sauvages sont en boutons, les genêts en fleurs.Les parfums du printemps embaument au soleil et enivrent les insectes.
Je vous assure qu'Il ne s'est rien passé, rien, ou alors j'ai oublié.J'ai juste tenté de sauter au-dessus du vide! un vide immense, profond.
Et dire que normalement j'ai le vertige!