Destination : 136 , Conseils à un écrivain


Destination 137 : Conseils à un écrivain

Que diriez-vous de partager vos secrets d’écriture avec vos confrères de l’atelier ? Ne faites pas les modestes, vous avez sûrement une ou deux recettes à révéler. On est entre nous, pas de danger que cela s’ébruite. Si tel n’est pas le cas, il ne faudra pas hésiter à inventer des conseils tous plus drôles les uns que les autres. Comment écrit-on un conseil ? Comme cela se prononce ! Non, comme une recette, en donnant toujours un exemple pour être bien compris.
Je vous accorde que donner des conseils uniquement à un écrivain est un peu réducteur, aussi dans un élan de grande bonté, je vous concède la possibilité d’écrire des conseils à d’autres gens (conseils à un assassin, conseils à un gendre (assassin en puissance), conseils à un banquier, conseils à un légume, conseil à un dieu…). Il va de soi que votre texte ne portera que sur une catégorie de personne et comportera un minimum de 4 à 5 conseils.
Cet atelier a été inspiré par la lecture d’extraits du livre de Thierry Maugenest : « Les rillettes de Proust et autres fantaisies littéraires ». Voici les extraits :

Copié-collé
Si l'inspiration se fait désirer, ne l'attendez pas. Allez dans votre bibliothèque et copiez les premiers mots des romans de votre choix. Avec beaucoup de patience et un peu de chance, vous écrirez une oeuvre cohérente à moindres frais :
Le premier matin d'avril lançait ses souffles fleuris sur l'île grecque de Céphalonie. C'était un matin de dimanche, par une année qui débutait splendidement. Les premiers baigneurs, les matineux déjà sortis de l'eau, se promenaient à pas lents, deux par deux ou solitaires, sous les grands arbres. Le vent, tiède et endormi, poussait une brassée de feuilles contre la fenêtre. Toute la journée, dans cette demeure un peu trop campagne qui n'avait l'air que d'un lieu de sieste, j'étais plongé dans une de ces rêveries profondes qui saisissent tout le monde, même un homme frivole, au sein des fêtes les plus tumultueuses. Emily se taisait. Nous voici encore seuls. Sur ce sentiment inconnu dont l'ennui, la douceur m'obsèdent, j'hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse. Qui suis-je ? Un vieillard, qui toujours plaint le présent et vante le passé. (sources en bas de page)
La quiétude de la page blanche

Si votre muse est capricieuse, ne vous laissez jamais démoraliser par la page vierge ; écrivez plutôt l'Autobiographie d'un amnésique. La rédaction de ce petit livre (reproduit ci-dessous en intégralité) ne vous prendra que quelques instants.
Je suis né le...

La description
Si la muse vous lâche encore alors que vous tentiez de décrire l'un de vos personnages, ne vous inquiétez pas. Déléguez ce travail à votre lecteur, en laissant à sa disposition une page blanche à l'intérieur de votre roman. Pour plus de précisions quant à ce procédé, reportez-vous au chapitre XXXVIII (livre sixième) de Tristram Shandy, le chef-d'oeuvre de Laurence Sterne :
Pour l'heure, j'espère me faire suffisamment comprendre du lecteur en lui disant que mon oncle Tobie tomba amoureux.[...] - Et peut-être bien, cher lecteur, que, tenté par de tels charmes - vous auriez aussi été séduit : car jamais vos yeux n'ont contemplé, jamais votre concupiscence n'a convoité objet au monde plus concupiscible que la veuve Tampon. [...] Pour bien vous la figurer, - demandez qu'on vous apporte une plume et de l'encre - vous avez ici du papier sous la main. - Asseyez-vous, Monsieur, et décrivez la veuve à votre fantaisie - qu'elle ressemble à votre maîtresse autant que faire se peut - et aussi peu à votre femme que votre conscience vous le permet - c'est tout un pour moi - faites simplement comme cela vous chante.
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Plagiaire, suspends ton vol
N'attendez plus l'inspiration ! Pourquoi vous torturer à composer des vers... alors qu'il est si facile de les emprunter à un autre ? De plus, le crime est souvent payant. Certains plagiaires ont en effet fort bien réussi, tandis que les auteurs qu'ils ont plagiés sont tombés dans l'oubli le plus total.
En 1770, dans un recueil intitulé simplement Poésies, un certain Nicolas Germain Léonard (1744-1793) signait le vers suivant :
Un seul être me manque et tout est dépeuplé
À la même époque, Antoine-Léonard Thomas (1732-1785) écrivait dans son "Ode sur le temps" :
Ô Temps ! suspends ton vol
Un demi-siècle plus tard, un étrange écho se fait entendre dans les poèmes de Lamartine, sous la plume duquel on retrouve ces vers qui ont fait sa renommée :
Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé !
"L'isolement"
Ô temps, suspends ton vol !
"Le Lac"
Traduttore, traditore

Si vous manquez d'imagination, traduisez en secret des oeuvres étrangères et publiez-les sous votre nom. La pratique est certes malhonnête, mais sachez que les coupables ne se font presque jamais démasquer par leurs contemporains.
OEuvre originale en italien...
Quando l'uomo è malcontento di ciò che apprese fanciullo, dà regolarmente i suoi passi dal rozzo al meno rozzo, e di poi si avanza al diligente e al preciso ; di qua si fa strada al grande e allo scelto ; e finisce poi nel facile.
Luigi Lanzi, Storia Pittorica dell'Italia
... traduite et réappropriée par Stendhal :
Dans les arts, quand l'homme est mécontent de son ouvrage, il va du grossier au moins grossier, il arrive au soigné et au précis ; de là il passe au grand et au sublime ; il finit par le facile...
Stendhal, Histoire de la peinture en Italie

L'autoplagiat
L'inspiration, chez vous, est capricieuse : elle vous rend des visites fugaces, puis s'enfuit en vous abandonnant à la page blanche. Voici un remède aussi simple qu'efficace : plagiez vos propres oeuvres ! De plus, vous ne ferez l'objet d'aucune plainte.
[L'astre solitaire] tantôt il reposait sur des groupes de nues qui ressemblaient à la cime de hautes montagnes couronnées de neige. Ces nues, ployant et déployant leurs voiles, se déroulaient en zones diaphanes de satin blanc, [...] ou formaient dans les cieux des bancs d'une ouate éblouissante, si doux à l'oeil, qu'on croyait ressentir leur mollesse et leur élasticité.
La scène sur la terre n'était pas moins ravissante : le jour bleuâtre et velouté de la lune descendait dans les intervalles des arbres, et poussait des gerbes de lumière jusque dans l'épaisseur des plus profondes ténèbres.
Chateaubriand, Le Génie du christianisme
Tantôt la lune reposait sur un groupe de nuages, qui ressemblait à la cime de hautes montagnes couronnées de neige ; peu à peu ces nues s'allongeaient, se déroulaient en zones diaphanes et onduleuses de satin blanc, [...] et partout se formaient dans les cieux de grands bancs d'une ouate éblouissante de blancheur, si doux à l'oeil, qu'on croyait ressentir leur mollesse et leur élasticité. La scène sur la terre n'était pas moins ravissante : le jour céruséen et velouté de la lune [...], descendant dans les intervalles des arbres, poussait des gerbes de lumières jusque dans l'épaisseur des plus profondes ténèbres.
Chateaubriand, Essai sur les révolutions

Vingt fois sur le métier...
L'inspiration est enfin là ! Sachez toutefois que celle-ci n'est rien sans un travail acharné. Alors, brouillonnez, raturez, biffez, réécrivez, corrigez, effacez, recommencez, gommez et, suivant l'exemple ci-dessous, vous créerez peut-être l'une des phrases les plus célèbres de la littérature française :
Je fus comme ces dormeurs qui...
Il faisait nuit dans ma chambre.
Il faisait nuit noire dans ma chambre.
Depuis longtemps je ne dormais plus que le jour...
Autrefois, j'avais connu le bonheur de rester éveillé...
J'étais couché depuis une heure environ, le jour n'avait pas encore tracé cette ligne blanche...
(Extraits des brouillons de Proust conservés à la Bibliothèque nationale.)
Et enfin :
Longtemps, je me suis couché de bonne heure.
Marcel Proust, À la recherche du temps perdu

Le mot juste
Bien écrire, c'est avant tout choisir le mot juste. Pourtant, la plus rigoureuse exactitude des termes n'est pas toujours souhaitable, et un romancier doit accepter de perdre en précision afin de gagner en clarté. Ne contraignez jamais vos lecteurs à lire votre oeuvre armés d'un dictionnaire en dix volumes, au risque de rester incompris :
L'abstème marguillier créosotait un chamérops près d'une narse lorsque l'abbé Bastien lui tendit une couque. Le fabricien, qui gardait en mémoire le dernier don du prestolet (un cotignac au goût d'animelles arrosé de manzanilla), refusa d'un geste, puis il lui parla des géosynclinaux et des espaces exondés selon lui par des mouvements épeirogéniques. Mais le capelan, distrait par un traquet motteux ou un pouillot fitis, ne l'écoutait plus. Déjà, le vent nordissait. Sa gapette s'envola. Il partit la ramasser sur le prélart qui couvrait une vieille patache gardée par deux bardots gourmeux. Au même moment il chercha dans une poche son mellite béchique. Puis il s'éloigna, la couque à la main, que son asialie l'empêchait de savourer.

Inédit
C'est Flaubert qu'on assassine
Le choix des mots ne se limite pas aux noms communs. Baptisez aussi avec soin vos personnages. Si vous n'êtes pas convaincu de l'importance de ce travail, remplacez les prénoms des protagonistes de Madame Bovary et jugez du bel effet : comment défigurer un chef-d'oeuvre à moindres frais.
- Eh bien, fit Ricky en s'asseyant à ses côtés sur un tabouret, non !... C'est que je n'ai pas voulu revenir.
- Pourquoi ?
- Vous ne devinez pas ?
Il la regarda encore une fois, mais d'une façon si violente qu'elle baissa la tête en rougissant. Il reprit :
- Loana...
- Monsieur ! fit-elle en s'écartant un peu.
[...]
Mais ils entendirent les deux chevaux qui broutaient le feuillage.
- Oh ! encore, dit Ricky. Ne partons pas ! Restez !
Il l'entraîna plus loin, autour d'un petit étang, où des lentilles d'eau faisaient une verdure sur les ondes. Des nénuphars flétris se tenaient immobiles entre les joncs. Au bruit de leurs pas dans l'herbe, des grenouilles sautaient pour se cacher.
- J'ai tort, j'ai tort, disait-elle. Je suis folle de vous entendre.
- Pourquoi ?... Loana ! Loana !
- Oh ! Ricky !... fit lentement la jeune femme en se penchant sur son épaule.

Chassez l'adverbe
Employez les adverbes avec modération. Parfois inutiles, souvent inélégants, ils alourdissent la prose et les vers. Pour s'en convaincre, il suffit d'ajouter - cruellement - quelques adverbes à "Ma bohème" de Rimbaud :
Je m'en allais spontanément, les poings dans mes pochesindéniablement crevées ;
Mon paletot aussi devenait absolument idéal ;
J'allais lentement sous le ciel, Muse ! et j'étais indéfectiblementton féal ;
Oh ! là là ! que d'amours splendides j'ai sensuellement rêvées !
Mon unique culotte avait notamment un large trou.
- Petit Poucet rêveur, j'égrenais fréquemment dans ma course
Des rimes. Mon auberge était immanquablement à la Grande-Ourse.
- Mes étoiles au ciel avaient généralement un doux frou-frou
Et je les écoutais attentivement, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais furtivement des gouttes
De rosée à mon front, quasiment comme un vin de vigueur ;
Où, rimant inlassablement au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais franchement les élastiques
De mes souliers blessés, un pied carrément près de mon coeur !

La ; ponctuation
Ponctuez toujours, correctement... L'abus, ou la mauvaise utilisation, de, points ou de : virgules, rendra votre prose ! Hachée, et décousue il est, en, effet ; très... pénible, de lire un, roman ponctué de, manière intempestive, et. Lorsque l'usage, de la ponctuation... est mal maîtrisé, et que - les virgules ou ? les points... de suspension (fourmillent il est, fort, probable que ; le lecteur, qui, produit, alors ; un effort, de concentration, épuisant finisse par, se détourner. De ce qu'il, tentait de lire.

Copyright JBZ & Cie.
Texte composé des incipit des romans suivants : Albert Cohen, Mangeclous ; Franz Kafka, Le Verdict ; Guy de Maupassant, Mont-Oriol ; Boris Vian, L'Herbe rouge ; Marcel Proust, Le Temps retrouvé ; Honoré de Balzac,Sarrasine ; Julien Green, Mont-Cinère ; Louis-Ferdinand Céline, Mort à crédit ; Françoise Sagan, Bonjour tristesse; André Breton, Nadja ; Voltaire, L'Homme aux quarante écus.

On pourrait me reprocher d’avoir ici effectué un copié-collé mais ce serait oublier que c’est le premier conseil donné par l’auteur. http://www.lexpress.fr/culture/livre/les-rillettes-de-proust-et-autres-fantaisies-litteraires_886105.html

Bon courage et n’oubliez pas les conseils suivants :
1) Ne jamais craindre de ne pas avoir compris la destination,
2) Ne pas se comparer à l’auteur cité,
3) Aimer écrire coûte que coûte,
4) S’amuser à tout prix,
5) Ne se coucher que si nécessaire,
6) Ne s’alimenter qu’en dernier recours…

JFP

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