Destination : 139 , Le cimetière des livres d'Ailleurs


Destination 139 : le cimetière des livres d’Ailleurs
Les plus assidus l’auront deviné, nous allons à nouveau évoquer au cours de cette destination « L’ombre du vent »*, livre dont je recommande toujours vivement la lecture. Dans ce roman, au début, le héros est guidé, initié par son père vers un sanctuaire : le cimetière des livres oubliés. En ce lieu magique, dans une Barcelone baroque et flamboyante de l’après guerre civile, un gardien veille sur une immense bibliothèque, labyrinthe époustouflant. Là, y sont déposés des livres rares et mystérieux, des livres « perdus », des exemplaires uniques, etc…
Qu’est ce que je vous propose ? Vous devenez un des gardiens du cimetière et vous nous décrivez quelques-uns des ouvrages qui y sont. Bien sûr, vous les inventez. Vous pouvez également nous donner une rapide biographie de chaque auteur ou nous raconter qui a déposé ce livre, pour quelle raison il est entré au cimetière.
Résumons, une liste de livre (genre, auteur, résumé, collection, aspect, éditeur, langue, histoire, etc…). Pensez que tous les livres ne sont pas des romans et laissez un peu de mou à votre imagination. Pour une fois je propose également une stimulation visuelle et vous propose de visiter par le net une expo d’art à Barcelone qui illustre bien le fameux cimetière :
http://www.mitobcn.com/brian/new%20expo/brianexposicion.html (Brian Dettmer, artiste américain) **
Peut-être que je me trompe mais c’est une destination que je juge facile. Avec cette chaleur, vous méritez bien cela !
A bientôt,
JFP
* Extrait de l’ombre du vent :
Je me souviens encore de ce petit matin où mon père m'emmena pour la première fois visiter le Cimetière des Livres Oubliés. Nous étions aux premiers jours de l'été 1945, et nous marchions dans les rues d'une Barcelone écrasée sous un ciel de cendre et un soleil fuligineux qui se répandait sur la ville comme une coulée de cuivre liquide.
- Daniel, me prévint mon père, ce que tu vas voir aujourd'hui, tu ne dois en parler à personne. Pas même à ton ami Tomás. A personne.
- Pas même à maman ? demandai-je à mi-voix.
Mon père soupira, en se réfugiant derrière ce sourire triste qui accompagnait toute sa vie comme une ombre.
- Si, bien sûr, répondit-il en baissant la tête. Pour elle, nous n'avons pas de secrets. Elle, on peut tout lui dire.
Peu après la fin de la guerre civile, ma mère avait été emportée par un début de choléra. Nous l'avions enterrée à Montjuïc le jour de mon quatrième anniversaire. Je me rappelle seulement qu'il avait plu toute la journée et toute la nuit, et que, lorsque j'avais demandé à mon père si le ciel pleurait, la voix lui avait manqué pour me répondre. Six ans après, l'absence de ma mère était toujours pour moi un mirage, un silence hurlant que je n'avais pas encore appris à faire taire à coups de mots. Nous vivions, mon père et moi, dans un petit appartement de la rue Santa Ana, près de la place de l'église. L'appartement était situé juste au-dessus de la boutique de livres rares et d'occasion héritée de mon grand-père, un bazar enchanté que mon père comptait bien me transmettre un jour. J'ai grandi entre les livres, en me faisant des amis invisibles dans les pages qui tombaient en poussière et dont je porte encore l'odeur sur les mains. J'ai appris à m'endormir en expliquant à ma mère, dans l'ombre de ma chambre, les événements de la journée, ce que j'avais fait au collège, ce que j'avais appris ce jour-là... Je ne pouvais entendre sa voix ni sentir son contact, mais sa lumière et sa chaleur rayonnaient dans chaque recoin de notre logis, et moi, avec la confiance d'un enfant qui peut encore compter ses années sur les doigts, je croyais qu'il me suffisait de fermer les yeux et de lui parler pour qu'elle m'écoute, d'où qu'elle fût. Parfois, mon père m'entendait de la salle à manger et pleurait en silence.
Je me souviens qu'en cette aube de juin je m'étais réveillé en criant. Mon cœur battait dans ma poitrine comme si mon âme voulait s'y frayer un chemin et dévaler l'escalier. Mon père effrayé était accouru dans ma chambre et m'avait pris dans ses bras pour me calmer.
- Je n'arrive pas à me rappeler son visage. Je n'arrive pas à me rappeler le visage de maman, murmurais-je, le souffle coupé.
Mon père me serrait avec force.
- Ne t'inquiète pas, Daniel. Je me rappellerai pour deux.

** http://briandettmer.com/

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