Destination : 277 , De la sérenpidité


Je me demande comment j’ai pu passer tant de temps sans vous proposer cette destination avant.
La sérendipité, malgré le terme un peu « complexe », désigne tout simplement le fait de découvrir quelque chose par hasard. Exemple connu : Christophe Colomb qui découvrit l’Amérique en cherchant une nouvelle route des Indes (d’où les indiens…).
Mais ce phénomène ne fut nommé que fort tard : il nous vient d’un anglais, Horace Walpole (« serendipity »), qui en 1754, dans une lettre à l’attention de son ami Horace Mann, diplomate du roi George II à Florence, fait le premier usage et invention du mot. Il l’évoque à propos de la découverte de réponses à des questions qu’il se posait sur des armoiries vénitiennes : en lisant un ouvrage sans rapport avec ces questions qui le hantaient il y trouva son bonheur. Pour forger le terme « sérendipité », il fit le lien avec une autre lecture, celles des « voyages et aventures des princes de Serendip » (conte persan publié pour la première fois par un éditeur vénitien en 1557) dans la version de Louis de Mailly.
Walpole écrira : « … Cette découverte est presque de l'espèce que j'appelle serendipity, un mot très expressif que je vais m'efforcer, faute d'avoir mieux à vous narrer, de vous expliquer : vous le comprendrez mieux par l'origine que par la définition. J'ai lu autrefois un conte de fées saugrenu, intitulé Les Trois Princes de Serendip : tandis que leurs altesses voyageaient, elles faisaient toute sorte de découvertes, par accident et sagacité, de choses qu'elles ne cherchaient pas du tout : par exemple, l'un des princes découvre qu'un chameau borgne de l'œil droit vient de parcourir cette route, parce que l'herbe n'a été broutée que sur le côté gauche, où elle est moins belle qu'à droite — maintenant saisissez-vous le sens de serendipity ? […]. »
Serendip est l’ancien nom de l’île du Sri Lanka et donne ainsi son nom à la sérendipité, mot dont j’apprécie grandement la sonorité originale et exotique.
Longtemps, ce terme va sommeiller pour petit à petit revenir au goût du jour (dans les années 40) d’abord dans les milieux littéraires américains puis pour aller faire un tour du côté des sciences et de l’épistémologie. Ce n’est que dans les années 50 que serendipity sera francisé en sérendipité pour notre plus grand bonheur et celui de cet atelier.
Dès que des intellectuels s’emparent de ce genre de terme, ils ne peuvent s’empêcher de se l’approprier pour en forger des concepts voire des théories.
Par exemple, la psychanalyse s’est plu à considérer que des gens agissent par sérendipité, c’est à dire à constamment avoir leur esprit en quête et découverte de choses fortuites, semblant les éloigner de leur recherche initiale (la sérendipité devenant alors l’expression de leur inconscient leur révélant par un hasard qui n’en est pas un ce qu’ils tentaient de se cacher). Je ne sais pas si je suis clair et je me demande même si je ne suis pas un sujet maladivement atteint de sérendipidite aiguë (c’est grave docteur?)
Comme je vous le disais, des théoriciens sont venus travailler cette notion et c’est ainsi que certains classent les sérendipités en plusieurs catégories.
Regardons cela de plus près :
- il y a la pseudo-sérendipité ou fausse sérendipité qui consiste à découvrir de manière accidentelle ce que l’on cherchait (en fait on ne découvre pas autre chose). Exemple : Goodyear qui cherchait à réaliser la vulcanisation du caoutchouc, qui jeta un par la fenêtre un échantillon « raté » pour découvrir plus tard que ce rebut était en fait ce qu’il cherchait. Ou bien Archimède qui trouva en faisant déborder sa baignoire le fameux principe qui porte son nom.
- la vraie sérendipité qui consiste à découvrir quelque chose qu’on ne cherchait pas, par exemple, George de Mestral qui en promenant son chien découvrit que les fruits de la bardane s’accrochait dans ses poils (ceux de son chien) et en les observant au microscope eut l’idée de ce qui allait donner plus tard le « velcro ».
Je vous ai livré ici la catégorisation la plus simple de la sérendipité, d’autres chercheurs étant parvenus à des catégories plus complexes (mais n’apportant pas grand-chose de plus!).
Dressons maintenant une petite liste (non exhaustive) des découvertes plus ou moins attestées par sérendipité :
- l’Amérique
- le velcro,
- la vulcanisation du caoutchouc,
- le principe d’Archimède,
- les rayons X,
- les post-it,
- l’imprimerie (inspirée par un pressoir à vin)
- le téflon
- l’aspirine
- le nylon
- le viagra
- les pulsars
- Pompei
- la pierre de Rosette
- la grotte de Lascaux
- l’iode
- les édulcorants
- le LSD
- la structure hélicoïdale de l’ADN


Oui, vous ne trouvez pas ici la découverte de la loi de gravitation universelle par Newton, les spécialistes nous disent que c’est une légende (donc ce n’est pas un cas de sérendipité…).

J’allais oublier de vous parler du contraire de la sérendipité, qui est la zemblinité. Je trouve le concept un peu tiré par les cheveux mais ne résiste pas au plaisir de vous le présenter. Pour le forger, un écrivain (William Boyd, dans « Armadillo », 1999) a choisi une île aux antipodes du Sri Lanka : la nouvelle Zemble. Cette île a un climat qui s’oppose à celui du Sri Lanka, froid, minéral et peu hospitalier. La zemblinité est donc l’art de faire volontairement des découvertes malchanceuses et malheureuses. Ne m’en demandez pas plus, je saisis mal le concept.

Bon, qu’est-ce que tout cela va bien pouvoir vous proposer d’écrire ? Comme d’habitude plusieurs pistes s’offrent à vous : vous pouvez creuser du côté d’une des inventions citées plus haut (ou une autre excavée par vos soins) et nous conter sa découverte par sérendipité.
Autre piste : vous prenez un objet dont vous vous demandez bien comment il a pu être inventé, je prendrai l’exemple de la fourchette (qui m’intrigue) et vous nous écrivez une belle petite histoire nous décrivant sa découverte par sérendipité.
Troisième voie, aventurière, dans l’esprit du concept : vous choisissez d’écrire le quotidien d’un chercheur, d’un inventeur, vous nous décrivez tout cela et, à un moment donné, au cours de votre narration, vous lui faite découvrir par hasard quelque chose qu’il ne cherchait pas. Toute l’aventure pour vous est de jouer le jeu, ne sachant pas du tout au départ de votre texte ce que va découvrir votre héros. Remarquez qu’en écriture cela nous arrive souvent (je vous le souhaite) : que nous ne sachions pas, nous auteur, ce qui va arriver.
Quatrième voie, vous me prenez un peu au mot et vous nous écrivez une histoire fort drôle faisant œuvre de zemblinité, et toc !
Je suis persuadé que tout les sérendipiteurs que contient cet atelier sont capables de découvrir accidentellement d’autres pistes !

Enfin, cette destination ne serait pas complète sans que je vous ai conté le caractère sirendipique de cette destination.
Un jour que je regardais (c’est pourtant rare) une vidéo sur mon smartphone, je vois une petite vignette me désignant une autre vidéo sans rapport aucun avec la vidéo initiale (dont j’ai oublié le thème).
Je clique dessus parce que je vois qu’elle présente un cours de mathématiques donné par Cédric Villani à l’HES (hautes études scientifiques ou un truc comme ça). Oublions l’implication politique récente du personnage. Je me suis toujours demandé ce à quoi pouvait ressembler un cours de mathématiques à un « haut niveau ». Cédric Villani est né la même année que moi, à peu de kilomètres de moi, je regrette de ne pas avoir été dans la même école pour croiser le phénomène. Lauréat de la médaille Fields (l’équivalent du prix Nobel en mathématiques), le personnage est intrigant avec sa lavallière et son énorme broche en forme d’araignée qui ne quitte pas le revers de son veston. Son cours s’intitule « théorie synthétique de la courbure de Ricci ». Je tombe en pâmoison devant un titre aussi poétique et décide de me précipiter vers le-dit cours. Là j’ai la surprise de voir notre énergumène écrire à la craie sur des tableaux coulissants avec une écriture d’une autre époque, concentré sur son cours, prenant le temps d’introduire les notions, les concepts, les contributeurs, les théories apparentées... Je vous rassure tout de suite : je n’ai pas pipé mot, mais ma formation scientifique initiale m’a permis de comprendre la langue dans laquelle il parlait. Je me suis aussi aperçu que la vidéo de 2h n’était que la première d’une série de 7 autres et que si je trouvais cela assez charmant je n’y mettrais pas assez de sens pour poursuivre. Je crois en avoir regardé 1h30 comme on regarderait des animaux étranges dans un zoo tout en essayant de comprendre ce qu’ils font, pourquoi ils le font.
Quelques jours plus tard, alors que je discute avec mon fils aîné, je ne sais plus ce qui nous amène sur Cédric Villani et je décide de ressortir mon smartphone pour lui montrer le personnage. Bien sûr, je ne retrouve pas la vidéo sur « la théorie synthétique de la courbure de Ricci » mais je tombe sur un des innombrables colloques que notre génie des mathématiques a donné. C’est sur l’histoire des mathématiques et je me dis que le sujet est assez intéressant comme cela (pas la peine de faire toujours le malin auprès de mon fils, cela va finir par l’agacer à juste titre). Au cours de son exposé très limpide, le mathématicien évoque furtivement le terme de sérendipité sans s’étendre dessus. Un déclic se fait dans mon cerveau : j’ai déjà entendu ce mot et ce sera le sujet du prochain atelier !

Une nouvelle piste s’ouvre à vous : écrire un exemple vécu de sérendipité ou bien un texte qui s’intitule « Théorie synthétique de la courbure de Ricci » !

http://fr.wikipedia.org/wiki/S%C3%A9rendipit%C3%A9 /> (l’article le plus complet sur la sérendipité)

http://www.editions-marchaisse.fr/uploads/4/3/7/1/4371660/les_aventures_des_trois_princes_de_serendip.pdf
le texte intégral des aventures des trois princes de Serendip par le Chevalier Louis de Mailly suivi de prolongements intéressants.

http://cedricvillani.org/
intéressant malgré un encart politique en en-tête.

http://www.youtube.com/watch?v=xzVk56EKBUI lien vidéo vers le premier cours sur la théorie synthétique de la courbure de Ricci.

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