Destination : 329 , Personnellement


Pour cette destination, je vous propose un petit travail technique. Rassurez-vous, rien de bien compliqué. Nous nous interrogerons sur la pronominalisation dans l’énonciation de la narration. Bon, dit comme ça, on n’y comprend goutte, pardonnez cet effet de sidération qui me permet de faire le malin.
La plupart des récits sont écrits à la première personne « je » ou à la troisième personne du singulier « il » ou « elle ». Je ne développe pas ici les raisons qui permettent d’opter pour un choix plutôt que l’autre, mais je vous invite si vous le souhaitez à consulter le lien plus bas qui développe la question.
Je vous propose au cours de cette destination d’en essayer d’autres, tout simplement.

Tu comprends ? Cela te permet de changer vraiment de changer les choses. Tu pourrais réfléchir à ce que cela implique comme conséquences, du point de vue de la narration, du déroulement du récit, mais je te conseille de faire à l’instinct, de commencer ton propos, ton histoire, ton poème, ta lettre avec un pronom inhabituel pour la circonstance : tu, on, nous, vous, ils, elles et de tenter de les employer au maximum, en te laissant porter par la vague.
Imaginons que tu choisisses « on », on découvre alors tout à travers ce « on », on est avec, on se promène ensemble, on participe à l’action.
Si c’est vous, vous voyez ce qu’il vous reste à faire, vous vous adressez aux autres, vous les convoquez dans votre récit si c’en est un, vous êtes presque tout le temps en train de vous adresser à eux, à vous d’essayer.
Le nous a quelque chose d’un peu formel, voire d’universitaire, il peut même prendre des airs de majesté. Nous ne nous laisserons pas impressionner et nous n’hésiterons pas à l’utiliser, nous nous hisserons au niveau pour le convoquer dans notre texte.
Quant à « ils ou elles », ils ne vous inquiéteront pas outre mesure, ils seront là, disponibles, prêt à l’emploi. Ils seront forcément plusieurs, ils ne vous laisseront pas seuls, ils donneront à votre texte une dimension plurielle.

Tu as compris, ce travail un brin technique, cette contrainte formelle sera une occasion de t’amuser, de jouer avec la langue pour qu’elle porte tes mots, ceux que tu voudras nous faire lire.
Tu me connais, tu vas aussi avoir une thématique proposée. Que dirais-tu qu’il soit question de trajet, d’itinéraire ? Tu nous parlerais par exemple d’un trajet que tu faisais enfant pour te rendre à l’école. Tu pourrais aussi choisir de raconter le trajet que chaque jour fait ton voisin avec son petit chien… Tu prendras soin que cet itinéraire ait été mainte fois répété, c’est important.
Tu es bien évidemment libre de choisir une toute autre thématique, c’est ton texte !

JFP

Comme inspiration, je te propose cet extrait d’un poème de Guillaume Apollinaire, « Zone » :

[…]
Maintenant tu marches dans Paris tout seul parmi la foule
Des troupeaux d'autobus mugissants près de toi roulent
L'angoisse de l'amour te serre le gosier
Comme si tu ne devais jamais plus être aimé
Si tu vivais dans l'ancien temps tu entrerais dans un monastère
Vous avez honte quand vous vous surprenez à dire une prière
Tu te moques de toi et comme le feu de l'Enfer ton rire pétille
Les étincelles de ton rire dorent le fond de ta vie
C'est un tableau pendu dans un sombre musée
Et quelquefois tu vas la regarder de près

Aujourd'hui tu marches dans Paris les femmes sont ensanglantées
C'était et je voudrais ne pas m'en souvenir c'était au déclin de la beauté

Entourée de flammes ferventes Notre-Dame m'a regardé à Chartres
Le sang de votre Sacré-Coeur m'a inondé à Montmartre
Je suis malade d'ouïr les paroles bienheureuses
L'amour dont je souffre est une maladie honteuse
Et l'image qui te possède te fait survivre dans l'insomnie et dans l'angoisse
C'est toujours près de toi cette image qui passe

Maintenant tu es au bord de la Méditerranée
Sous les citronniers qui sont en fleur toute l'année
Avec tes amis tu te promènes en barque
L'un est Nissard il y a un Mentonasque et deux Turbiasques
Nous regardons avec effroi les poulpes des profondeurs
Et parmi les algues nagent les poissons images du Sauveur

Tu es dans le jardin d'une auberge aux environs de Prague
Tu te sens tout heureux une rose est sur la table
Et tu observes au lieu d'écrire ton conte en prose
La cétoine qui dort dans le coeur de la rose
Épouvanté tu te vois dessiné dans les agates de Saint-Vit
Tu étais triste à mourir le jour où tu t'y vis
Tu ressembles au Lazare affolé par le jour
Les aiguilles de l'horloge du quartier juif vont à rebours
Et tu recules aussi dans ta vie lentement
En montant au Hradchin et le soir en écoutant
Dans les tavernes chanter des chansons tchèques

Te voici à Marseille au milieu des pastèques

Te voici à Coblence à l'hôtel du Géant

Te voici à Rome assis sous un néflier du Japon

Te voici à Amsterdam avec une jeune fille que tu trouves belle et qui est laide
Elle doit se marier avec un étudiant de Leyde
On y loue des chambres en latin Cubicula locanda
Je me souviens j'y ai passé trois jours et autant à Gouda

Tu es à Paris chez le juge d'instruction
Comme un criminel on te met en état d'arrestation

Tu as fait de douloureux et de joyeux voyages
Avant de t'apercevoir du mensonge et de l'âge
Tu as souffert de l'amour à vingt et à trente ans
J'ai vécu comme un fou et j'ai perdu mon temps

Tu n'oses plus regarder tes mains et à tous moments je voudrais sangloter
Sur toi sur celle que j'aime sur tout ce qui t'a épouvanté

Tu regardes les yeux pleins de larmes ces pauvres émigrants
Ils croient en Dieu ils prient les femmes allaitent les enfants
Ils emplissent de leur odeur le hall de la gare Saint-Lazare
Ils ont foi dans leur étoile comme les rois-mages
Ils espèrent gagner de l'argent dans l'Argentine
Et revenir dans leur pays après avoir fait fortune
Une famille transporte un édredon rouge comme vous transportez votre coeur
Cet édredon et nos rêves sont aussi irréels
Quelques-uns de ces émigrants restent ici et se logent
Rue des Rosiers ou rue des Écouffes dans des bouges
Je les ai vu souvent le soir ils prennent l'air dans la rue
Et se déplacent rarement comme les pièces aux échecs
Il y a surtout des juifs leurs femmes portent perruque
Elles restent assises exsangues au fond des boutiques

Tu es debout devant le zinc d'un bar crapuleux
Tu prends un café à deux sous parmi les malheureux

Tu es la nuit dans un grand restaurant

Ces femmes ne sont pas méchantes elles ont des soucis cependant
Toutes même la plus laide a fait souffrir son amant

Elle est la fille d'un sergent de ville de Jersey

Ses mains que je n'avais pas vues sont dures et gercées

J'ai une pitié immense pour les coutures de son ventre

J'humilie maintenant à une pauvre fille au rire horrible ma bouche

Tu es seul le matin va venir
Les laitiers font tinter leurs bidons dans les rues

La nuit s'éloigne ainsi qu'une belle Métive
C'est Ferdine la fausse ou Léa l'attentive

Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie
Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie

Tu marches vers Auteuil tu veux aller chez toi à pied
Dormir parmi tes fétiches d'Océanie et de Guinée
Ils sont des Christ d'une autre forme et d'une autre croyance
Ce sont les Christ inférieurs des obscures espérances

Adieu Adieu

Soleil cou coupé

Guillaume Apollinaire (1880 - 1918)
recueil : Alcools

http://francais.lingolia.com/fr/atelier-decriture/point-de-vue-narratif Bon résumé concis sur le point de vue narratif. Pour ceux qui aiment les devoirs (rentrée oblige) vous pouvez faire des exercices.

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