Destination : 345 , Vous pouvez répéter la question ?


J’aime imaginer ce qui se passe dans la tête du lecteur lorsqu’il lit un tel intitulé. C’est amusant. Passé cet amusement, allez, au travail !
J’ai été intrigué d’apprendre qu’une des ventes les plus importantes du moment, si ce n’est la première, était celle d’un livre nommé « Burn After Writing » (« à brûler après écriture ») de Sharon Jones. (160p. Ed. Contre-dires, 2021 pour la traduction française)
C’est un livre que je classe parmi les OLNI (objets littéraires non identifiés). Je ne l’ai pas lu et je parle donc ici à partir de critiques de lecteurs (qui sont en grande majorité des lectrices) et d’extraits que j’ai difficilement dénichés.
Le principe de ce livre est simple, il s’agit de l’écrire soi-même en répondant à un immense questionnaire de Proust (nous y reviendrons). C’est donc un objet hybride entre le journal intime et le livre de développement personnel.
Notre monde égotique en est arrivé au point où l’on nous propose d’écrire un livre dont nous serions l’auteur pour le faire lire à un lecteur qui ne serait autre que nous-même. La boucle est bouclée. Un jour, je pense que l’on nous proposera de nous marier avec nous-même pour donner naissance à des clones ! (cela fait longtemps que je n’avais pas laissé échapper un peu de provoc’!)
Revenons au titre de ce livre, qui préconise l’autodafé après écriture. Pourquoi cela ? Parce que les questions posées sont intimes, personnelles et qu’elles sont autant d’invitations à livrer ses secrets les plus inavouables.
A qui est-ce que l’on pourrait raconter cela, au-delà de son/sa meilleur(e) ami(e), et encore ? Je ne vois que le psy, celui qui ne nous jugera pas, celui qui peut tout accueillir. Je rapproche ce succès littéraire de celui de la série télévisée « En Thérapie », témoignage d’un monde en quête d’écoute, de parole, de soins, de bienveillance…
Où allons-nous ainsi ?
Posons-nous des questions et si jamais nous le pouvons, répondons-y.
Je vois deux routes principales qui découlent de ce programme. La première, la version la plus altruiste, la plus empathique peut-être, à moins que ce soit la plus timide, consiste à imaginer un questionnaire, les questions que l’on aimerait poser à l’autre, qui seraient autant de pistes pour lui permettre de se dévoiler, de s’exprimer. Cela revient à produire un texte qui est une liste de questions (qui, sous la forme littéraire peuvent ne pas être des phrases interrogatives, nous y reviendrons aussi).
La deuxième route, celle qui est la plus évidente, consiste à répondre à un questionnaire déjà existant. Pour cela, il est possible d’en choisir un parmi d’autres, qu’il soit célèbre ou écrit par un(e) camarade d’écriture. Oui, cette destination fera partie des rares destinations « doubles » où les textes des uns peuvent permettre aux autres d’écrire le leur.
Enfin, la troisième voie est celle où l’on assure l’ensemble de la réalisation : les questions et les réponses, avec pourquoi pas un habillage romanesque, que je ne développe pas ici pour ne pas rendre la destination trop fleuve et hermétique.

Résumé :
1 – Inventer un questionnaire. Il peut être thématique. Les questions peuvent ne pas être des phrases interrogatives, c’est un choix de style. Exemple : En quel animal avez-vous vécu une précédente vie ? Devient : L’animal que je fus dans une vie antérieure.
Ce qui compte c’est de se mettre à la place de celui à qui sont destinées les questions.
Pensez que votre questionnaire sera d’autant plus tentant qu’il sera loufoque et créatif.

2 – Répondre à un questionnaire pré-existant. Le plus connu est le fameux questionnaire de Proust. Je ne connaissais pas sa genèse avant mes recherches pour cette destination. Eh bien, c’est exactement la même histoire que « Burning after writing » ! Marcel avait récupéré un cahier d’origine anglaise « album pour garder pensées, sentiments, etc... », qu’il avait obtenu par l’intermédiaire d’une amie, Antoinette Faure (la fille de Félix). Ce cahier est issu d’un jeu britannique prisé des jeunes filles de la bonne société romantique de la fin du XIXème : le jeu des « confessions ». Ainsi, Marcel Proust n’est pas l’auteur du questionnaire qui porte son nom, il en a simplement parfois modifié les questions et adapté la traduction. Ce qui est intéressant, c’est qu’il y a répondu plusieurs fois, une fois à 15 ans et une autre fois à 19 ans, notamment.

Site où l’on peut lire deux versions du questionnaire :
http://www.library.illinois.edu/rbx/kolbproust/proust/qst/#marcel

Vous trouverez plus bas le questionnaire « original » (peut-être vaut-il mieux éviter de lire les réponses proposées par Proust : pour ne pas souffrir de la comparaison ou pour ne pas être tenté par des Prousteries !) De même, quantité d’artistes, écrivains, « peoples » se sont commis à publier leurs réponses à ce questionnaire.

Une dernière piste à propos de ce questionnaire me vient à l’esprit : si vous vous amusiez à le faire à l’envers ? C’est-à-dire que vous gardez les réponses de notre ami Marcel, mais vous vous amusez à ce qu’elles soient les réponses de nouvelles questions (inventées par vous et de préférences drôles).

Encore plus bas, je propose également d’autres versions, notamment celle de Bernard Pivot. Je ne résiste pas à l’envie de vous raconter que le questionnaire de Pivot a (à son tour) inspiré celui de l’émission transatlantique « Inside the actor’s studio » de James Lipton.

3 – Vous écrivez à la fois un questionnaire et ses réponses. Cela peut permettre un travail sur des personnages : l’auteur des questions et celui qui y répond (si ces deux-là sont différents). Vous pouvez prévoir d’inclure cela dans une histoire, mais comme promis, je ne développe pas !

– Où en êtes-vous ?
A la fin.

– C’est fini ?
Je crois qu’on peut le dire.

– Proust vous accueille, que vous dit-il ?
Bravo, JF, en voilà du temps perdu utile !


Le Questionnaire de Proust (1886)
Ma vertu préférée
Le principal trait de mon caractère
La qualité que je préfère chez les hommes
La qualité que je préfère chez les femmes
Mon principal défaut
Ma principale qualité
Ce que j’apprécie le plus chez mes amis
Mon occupation préférée
Mon rêve de bonheur
Quel serait mon plus grand malheur ?
A part moi -même qui voudrais-je être ?
Où aimerais-je vivre ?
La couleur que je préfère
La fleur que j’aime
L’oiseau que je préfère
Mes auteurs favoris en prose
Mes poètes préférés
Mes héros dans la fiction
Mes héroïnes favorites dans la fiction
Mes compositeurs préférés
Mes peintres préférés
Mes héros dans la vie réelle
Mes héroïnes préférées dans la vie réelle
Mes héros dans l’histoire
Ma nourriture et boisson préférée
Ce que je déteste par-dessus tout
Le personnage historique que je n’aime pas
Les faits historiques que je méprise le plus
Le fait militaire que j’estime le plus
La réforme que j’estime le plus
Le don de la nature que je voudrais avoir
Comment j’aimerais mourir
L’état présent de mon esprit
La faute qui m’inspire le plus d’indulgence
Ma devise

Le questionnaire de Pivot (qu’il posait traditionnellement à son invité vedette à la fin de l’émission Apostrophe) :

Votre mot préféré
Le mot que vous détestez
Votre drogue favorite
Le son, le bruit que vous aimez
Le son, le bruit que vous détestez
Votre juron, gros mot ou blasphème favori
Un homme ou une femme pour illustrer un nouveau billet de banque
Le métier que vous n'auriez pas aimé faire
La plante, l'arbre ou l'animal dans lequel vous aimeriez être réincarné
Si Dieu existe, qu'aimeriez-vous, après votre mort, l'entendre vous dire ?

Questionnaire des « Inrockuptibles » (2003) de Sophie Calle et Grégoire Bouiller :

Quand êtes-vous déjà mort ?
Qu'est-ce qui vous fait lever le matin ?
Que sont devenus vos rêves d'enfants ?
Qu'est-ce qui vous distingue des autres ?
Vous manque-t-il quelque chose ?
Pensez-vous que tout le monde puisse être artiste ?
D'où venez-vous ?
Jugez-vous votre sort enviable ?
A quoi avez-vous renoncé ?
Que faites-vous de votre argent ?
Quelle tâche ménagère vous rebute le plus ?
Quels sont vos plaisirs favoris ?
Qu'aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Citez trois artistes vivants que vous détestez.
Que défendez-vous ?
Qu'êtes-vous capable de refuser ?
Quelle est la partie de votre corps la plus fragile ?
Qu'avez-vous été capable de faire par amour ?
Que vous reproche-t-on ?
A quoi sert l'art ?
Rédigez votre épitaphe.
Sous quelle forme aimeriez-vous revenir ?



http://proustonomics.com/des-confessions-au-questionnaire-de-proust/#identifier_3_9525 excellent article, le meilleur que j’ai lu à propos du questionnaire de Proust.


Extraits de « Burn After Writing » :

Ce livre vous offre l’opportunité de vous confronter aux grandes questions de la vie.
Qui êtes-vous aujourd’hui ? Comment en êtes-vous arrivé là ?
Où allez-vous ?
Burn After Writing propose des questions introspectives, des jeux d’esprit, des expériences de réflexion et des devoirs, le tout sur votre sujet préféré : vous-même.
Amusez-vous avec, ou prenez-le trop au sérieux, ou les deux.
C’est vous qui décidez.
Mais, lorsque vous en aurez fini avec ce journal intime, assurez-vous de l’enterrer, de le cacher, de l’enfermer quelque part et de vous enfuir… Ou brûlez-le après l’avoir écrit.

[…]

ATTENTION
Si vous ne vous livrez pas avec sincérité et honnêteté, vous n’avancerez pas dans la découverte de vous-même. Vous ne pouvez pas simplement vous plonger dans ces pages avec insouciance et résignation. Vous devez auparavant vous initier aux règles de la B.A.W. (Burn After Writing).
Avant de commencer, tel le fou sur le point de s’élancer d’une falaise, marquez une pause et réfléchissez à ces valeurs sacrées.
• Je répondrai sans faillir et avec honnêteté à toutes les questions.
• J’utiliserai la puissance de la magie aléatoire pour sélectionner la question la plus pertinente pour ma situation actuelle.
• Je me promènerai dans les couloirs de mon esprit et en ouvrirai toutes les portes closes.

[…]
LE PASSÉ

S’il est impossible de modifier le passé, nos souvenirs ne sont jamais deux fois les mêmes. Chaque fois que l’un d’eux ressurgit, nous le revivons selon une nouvelle perspective. Nous réinventons toujours notre histoire afin de répondre à nos besoins actuels. Pourquoi ne pas tenter le contraire aujourd’hui ? Découvrez de nouvelles trames dans les fragments de votre passé, qui recréent votre relation au présent. Si cette distraction ludique n’a pas de règles, il en existe de nombreuses que vous seul connaissez. Que le jeu commence !

Mon premier souvenir
Enfant, je rêvais de devenir
Ce qui me manque le plus lorsque je me tourne vers le passé
Mon enfance décrite en un mot
Les affiches qui ornaient le mur de ma chambre lorsque j’étais enfant
L’acte bienveillant que je n’oublierai jamais
Les personnages historiques que j’admire
[…]

Pour le plaisir, une liste des 20 questions les plus saugrenues posées à un entretien d’embauche :
http://www.huffingtonpost.fr/entry/saurez-vous-repondre-a-ces-20-questions-parmi-les-plus-farfelues-posees-en-entretien_fr_5cd5426ce4b054da4e8719f8

Là encore du drôle :
http://www.qalc.fr/top/1

et là aussi :
http://www.lesouhk.ch/?page_id=5074

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