Destination : 175 , Cher atelier


Très cher ennui

Très cher ennui,



Il m'est difficile de prendre ma plume aujourd'hui pour t'envoyer ce courrier, j'aurais tant voulu t'écrire pendant une crise afin de te décrire au plus juste. Mais voilà, le simple fait de réfléchir au contenu de ce pli fait que déjà tu me fuis, et donc me voici bredouille…



Bon, je vais m’arranger autrement en décortiquant après coup les sensations que tu m'infliges lorsque tu t'abats sur moi sans crier gare. Oui, tu es loin d'être un professionnel de l'organisation ! J'en arrive même à me demander si tu possèdes un agenda afin de répartir correctement ta tâche sur la semaine… À la réflexion, je pense plutôt que tu excelles dans l'art de l'improvisation. Remarque, à bien y réfléchir, tes visites inopinées ont leur charme. Je m'imagine mal, planifiant dans mon organiseur : mercredi 4 juillet, 14 h / 15 h = ennui.



Ce que j'aime chez toi, c'est aussi le côté risqué de ta présence. À tout moment, lorsque tu es là, je sens venir le danger de verser dans la déprime, et je lutte, tel un équilibriste, pour rester sur le fil de la mélancolie. J'y parviens le plus souvent et savoure alors le plaisir de ma victoire.



Si je t'écris, cher ennui, c'est surtout pour défendre ton cas. Je ne sais pas si tu en es conscient, mais tu n'es pas vraiment dans l'air du temps ! Synonyme, aux yeux de beaucoup, d'inactivité, dans ces périodes où le rendement semble être le maître mot, je souhaite clamer haut et fort tes vertus.



Si tu n'existais pas, aurions-nous la possibilité d'étudier si précisément le trajet de ces milliers de grains de sable qui coulent entre nos doigts lorsque nous sommes allongés sur la plage de Farniente-les-Bains ? Observerions-nous aussi longtemps la pluie tombant en rideau derrière le carreau de la salle à manger donnant sur le boulevard de Lassitude ?



J'aime le suspens qui t'accompagne lorsque tu me forces à lentement caresser les heures et que je ne sais pas encore si je parviendrais à les faire s'étirer comme des chats. Et quel bonheur lorsque soudain, rechargée par ton oisiveté, je retrouve ma vitalité féline et l'envie de bondir en tous sens. Toute affairée à mes nouvelles préoccupations, je n'ai alors plus de pensées pour toi… Quelle ingratitude !



Voilà cher ennui, j'ai tout de même réussi à t'écrire ces quelques mots pour t'assurer de ma fidélité, je ne suis pas de celles qui trompent leur ennui.



Bien à toi, avec tout mon spleen,



Griotte

Griotte