Destination : 205 , Histoires d'eau


Histoire d'une goutte d'eau

Au plus fort de l’hiver, les blizzards s’époumonent dans la nuit. Leurs doigts glacés passent sur les montagnes, ébouriffant leurs sommets, emmêlant malicieusement leurs chevelures neigeuses. Les vieux glaciers, patients, attendent que ces emportements sauvages se tarissent. On entend alors au cœur des ténèbres, séracs et névés se plaindre de leurs nouvelles gerçures. Ils s’étirent, craquent et soupirent :

- Enfin, ces jeunes fous se calment ! Regardez le pic du pendu ! Le voilà chauve maintenant !

- Ces jeunes galopins n’ont pas de respect pour notre grand âge !

- Névé du nord ! Vous savez bien qu’il faut les occuper autrement ces forcenés, car ils vont recommencer leur folle sarabande. Demandez leurs donc d’aller raconter aux jeunes séracs du sud, l’histoire d’Ondine. Pendant ce temps, nous soignerons nos nouvelles crevasses!

- L’histoire de qui ?

- ON-DINE ! H 2 ON-DI-NE (il est de plus en plus sourd ce vieux glaçon…)

- Ah ! Ondine ! Ma petite Ondine…. !

- Névé du nord, ne pleurez pas ! Sinon on est bon pour de nouvelles engelures avec ces fanatiques qui ne cessent de gesticuler ! Là en voilà un ! Allez-y Névé du nord, je vous en prie, demandez-lui !

Un souffle d’air gelé passe puis repasse encore :

- Bzzzz, que se passe-t-il beau névé ? J’arrive en coup de rafale car une affaire, paraît-il, me concerne ? Tu sais que je suis toujours dans la brise ! Parle donc ! Ne sois pas pétrifié !

- Oui ! Oui ! Tornade de Sibérie ! Arrête de haleter sur notre dos ! Tu nous glaces, nous sommes transis ! Va voir au sud, du côté des moraines, ils ne connaissent pas l’aventure d’Ondine. Il y a longtemps que tes frères et toi, n’avaient raconté son périple ! Va vite ! Laisse-nous en paix !

Lors, les bourrasques virevoltent. Elles détalent dans l’obscurité, colporter la vieille histoire qui résonne tous les hivers dans les cimes enneigées.

Ondine, c’était une fleur de neige, un flocon des glaciers. Elle se jetait en riant dans les souffles rapides des vents. Elle papillonnait sur les haleines hivernales qui la soulevaient gracieusement. Entrechats, pirouettes, se succédaient quand elle montait ou redescendait en se trémoussant entre les froides mains des bises mordantes.

La nuit de la grande tempête, l’intrépide valsait dans les bras d’un beau tourbillon de l’Est. Pourtant Névé du Nord lui avait bien recommandé de ne pas quitter des yeux, Polaire, l’étoile salvatrice. Mais la jeunette suivait dans sa ronde échevelée, le séducteur au souffle presque tiède. Elle ne vit ni le ciel s’obscurcir, ni les blizzards débouler sournoisement par le grand col pelé. L’avalanche happa Ondine d’un coup de mâchoire acérée pour la recracher un peu plus bas, sans ménagement. Elle tenta bien de s’accrocher, ici ou là mais la voilà qui tourne, tourne, tombe, tombe puis disparaît dans le précipice. Quelle chute ! L’air vif la poussait toujours dans la pente, toujours plus bas, toujours plus loin de son cher névé. Qu’allait-elle devenir ?

Elle chut rudement sur une roche plate, avec un petit bruit disgracieux : Plof ! Étourdie, elle vit devant elle un filet ondulant sortant d’une roche fine et s’exclama :

- Oh que c’est joli ! Ça c’est un drôle de vent !

Mais ce n’était pas le vent ! La source gloussante sortant du ventre de la montagne lui apprit qu’elle était H 2 Ondine, un pauvre petit flocon dégelé, une goutte d’eau pure et transparente.

-Saches que la force de l’eau vient de la source! Après avoir parcouru des mondes mystérieux, peuplés de soupirs étouffés, par milliers les gouttes périssent, laissant sur des parois sombres des grains de mémoire montants ou descendants. Les survivantes ruissellent lentement, affleurant à la surface, pour devenir des torrents fougueux.

Ondine décida de se laisser glisser dans le ruban ondoyant. A peine entrée dans le flot, elle entama une danse endiablée. Elle glissait entre les écueils, tournoyait par-dessus les récifs, s’élançait dans les airs pour mieux se relancer dans le flot, passait sous les troncs usés, galopait dans la pente.

Elle riait encore quand le flux qui la poussait, ralenti. Bientôt elle fut entourée d’une multitude de gouttes semblables à elle. Intimidée, elle suivait sagement ses compagnes qui ne jouaient plus. Un monde étrange s’ouvrait devant elle. Une végétation molle se balançait, caressant langoureusement les ventres blancs de poissons arc-en-ciel, laissant entrevoir des gueules prognathes, garnies de dents pointues, effrayantes.

Ondine arrivait dans un grand lac couleur de ciel. Redoutant de faire connaissance avec la truite ou le brochet, elle s’écarta du cours principal, accompagnant vers les berges de minuscules vaguelettes. Elle s’égara dans le labyrinthe des roseaux flexibles qui inclinaient leurs tiges souples. Se sentant perdue, elle pleurnicha.

- L’eau trouble est le privilège du pêcheur, déclara l’eau boueuse, de quoi te plains-tu, toi qui es claire ! Nous sommes depuis longtemps dans cette flaque putride remplie de vase et de gangue visqueuse. Ne reste pas dans l’étang, belle goutte d’eau, tu es trop jeune pour croupir ici ! On se méfie toujours de l’eau qui dort ! Vois l’étourdi alevin, là-bas, qui musarde dans le marécage, approche-le, il t’emmènera retrouver le courant.

Ondine se rapprocha lentement du bébé poisson. Elle préparait un discours aimable quand elle fut aspirée sans manière, se retrouvant dans l’ouïe de l’animal. Affolée, elle en ressortit très vite, mais l’alevin l’avertit : - Si tu veux que ze t’emmène, tu dois rester dans mon oreille, goutte d’eau ! Ne ressors pas, ça me chatouille ! Et il l’aspira à nouveau. L’eau glauque, rassemblant ses maigres forces, palpita. L’alevin se relança dans le courant, lâchant sa passagère.

Cependant, l’ambiance avait changé. Des gouttes d’eau en colère couvraient d’écume blanche l’étendue étale. Une houle puissante rudoya Ondine quand une foule de petit soldat envahit la surface bleue devenue sombre et agitée.

Les vagues d’assaut venaient s’abattre par paquet. La défense s’organisait. Le lac faisait gros dos, jetant dans la bataille des rouleaux terribles. Des ressacs échevelés repoussaient les assaillants vers les rives. Le combat faisait rage. Les troupes d’élite, en rangs drus et serrés, pilonnaient sans relâche. Sous une grosse feuille de nénuphar, Ondine contemplait ce spectacle dantesque en compagnie d’une rainette aussi verte qu’éberluée, quand elle se retrouva devant un combattant tombé juste devant elle:

- Fan de chichourle! J’ai cru que ça finirait jamais cette galéjade!

- Bonjour, je suis H2 Ondine, goutte d’eau!

- Peuchère, moi aussi je suis une goutte d’eau, je viens de tomber de la dernière pluie, je m’appelle H2Olive, je viens du sud ! Olive, dans son langage ensoleillé raconta son périple.

En Provence, il vivait dans une touffe de lavande. Dès que le soleil brûlait, il fallait partir dans les racines, pour éviter les dangers. «Mèfi, Olive» disait sa mère«ne fait pas le fada! Sinon tu vas te faire prendre! » Lui faisait la bestiasse parce que le cagnard, tous les jours, il voulait le voir. Et puis sa mère, il aimait bien la faire bisquer ! Un jour, il resta trop longtemps tout en haut de la belle tige élégante et violacée. D’un coup il se sentit boulégué dans tous les sens. Il glissa près du bord d’une clochette parfumée, en s’accrochant à la dentelle de sa petite corolle, pour voir. Hé bè ! Il y avait un moulon de lavande ! Et des gouttes d’eau? Coucarin! Dans un panier, ils montaient un rapaillon du tonnerre qui les emmenait vers l’énorme machine ! Celle-là, c’était la terreur! Les vieux, ils en parlaient souvent à la maison! Mais lui, il croyait que c’était des histoires tout ça! Ah jobastre qu’il était ! Et les autres gouttes, elles arrêtaient pas de s’engatser ! On est dans la panade, gémissaient-elles, on va aller dans la machine ! On va se faire ensuquer, escagasser, espoutir, esquicher, esquinter ! Olive expliqua qu’après être passées dans la machine, les gouttes s’unissaient aux divins arômes des calices pour retomber dans de jolies fioles translucides, emprisonnant d’enivrants effluves devenus parfum.

Émerveillée, Ondine entrevoyait des Univers fabuleux qu’il lui faudrait absolument connaître ! En attendant, la situation devenait délicate pour Olive qui essayait de se cacher derrière la rainette inquiète :

- Deuxième classe H2Olive au rapport ! Hurlait une grosse goutte, ce n’est pas le moment de parler de la pluie et du beau temps! Nous avons de la route à faire. Mes hommages, mademoiselle, Adjudant chef H2 Oreste, à votre service ! Ondine salua le militaire qui poussait déjà Olive devant lui. Elle demanda si elle pouvait suivre la troupe. Oreste ne refusa pas, lui conseillant de rester à distance pour ne pas gêner les manœuvres.

Elle suivit donc le bataillon aquatique au milieu du lac où, le calme revenu, les eaux scintillaient. Sur les bords, quelques perles agrippées aux feuilles charnues des arbres, se laissaient glisser mollement dans la masse fuyante, fragmentant à l’infini les reflets dorés d’une lune joufflue. La curieuse Ondine questionna l’adjudant chef sur sa vie militaire. Elle fut passionnée par l’histoire du grand-père qui avait fait la bataille de l’eau lourde pendant la guerre, puis elle demanda à Olive pourquoi il n’était pas devenu eau de lavande.

- C’est pasque avant d’être jeté dans« la machine », j’ai sauté dans un bocal. C’était l’heure de l’apéro. Je suis tombé avec trois glaçons dans un verre de pastaga. Empégué, je me suis endormi. C’est un collègue qui m’a réveillé: « Eh! Dormiasse! Réveille-toi! » Qu’il m’a dit ! Je me sentais tout drôle car j’étais devenu vapeur d’eau. Je suis monté dans le ciel où j’ai été enrôlé pour le service militaire dans un strato-cumulus.

Ondine écoutait, ravie ! L’adjudant chef s’était assoupi. Il ronflait, faisant palpiter l’étendue moirée. Olive peignait avec ses mots fleuris, son midi, la garrigue, la stridulation des cigales. Ils ne virent pas le tourbillon qui agitait le bord de la rivière. Un mouvement circulaire de plus en plus rapide fit tournoyer Ondine un temps en surface puis elle plongea, entraînée comme bien d’autres. Elle parcourut à toute vitesse des mètres de tuyau qui l’amenèrent dans un immense bassin. Elle y rencontra H2 Odile.

Odile, c’était une vieille routarde ! Depuis son arrivée sur terre, elle était passée quelque fois sous les ponts. Elle venait d’une grande famille sortie de la fontaine de jouvence. Un de ses ancêtres avait connu Rembrandt. Il avait achevé sa carrière dans une eau-forte exposée au british muséum à Londres, ville d’eau du pays d’Angleterre où coule la Tamise.

Son grand-oncle H2Otto avait réussi dans la parfumerie et s’occupait de la fabrication de l’eau de Cologne, ville d’eau du pays d’Allemagne sur les bords du Rhin.

H2 Octave, son cousin, était au service d’un archevêque. Il travaillait comme eau bénite à Rome, ville d’eau traversée par le Pô.

Quant à Odile, elle arrivait directement de la ville de Seltz. Elle y avait salué une de ses amies qui vivait dans une eau gazeuse et qui avait été souffrante suite à un excès de dioxyde de carbone.

Qu’importe bassins et tuyaux ! Avec Odile et ses souvenirs renversants, Ondine était comme un poisson dans l’eau. Une goutte coiffée d’un chapeau blanc fit taire avec autorité clapotements, clapotages et clapotis :

- Un peu d’attention s’il vous plait, je suis H2 Ophélie, infirmière. H2 Oxygénée, médecin, reçoit pour la visite médicale. A la sortie des éprouvettes, les eaux chlorées à droite, les eaux bicarbonatées à gauche, les eaux sulfurées en face, les eaux ferrugineuses au fond !

Odile rouspéta :

- Pour qui elle se prend celle-là ? Nous ne sommes pas des gouttes minérales ! Va falloir qu’elle mette de l’eau dans son vin cette pimbêche !

Pas question de devenir une eau thermale, elles devaient absolument sortir de ce bassin. Nageant entre deux eaux, elles se glissèrent dans un petit tuyau discret. D’autres avaient eu la même idée. Une foule se pressait dans la cavité ronde et obscure. Par moments, la file avançait très rapidement puis brusquement, il fallait reprendre l’attente. Vu le monde qui pressait derrière, pas question de faire demi-tour.

Dans une salle de gymnastique, Madame la baronne de la tour Dupin faisait du vélo d’appartement. Elle cavalait virtuellement depuis dix bonnes minutes, suant et haletant. La soif eut raison de sa fougue, elle ouvrit le robinet. Ce fut une tempête dans un verre d’eau ! Voilà nos gouttes barbotant dans le cristal ! Odile flairait le danger. Il faut faire quelque chose, pensa-t-elle, sinon on va finir en eau de boudin ! Elle s’agrippa aux commissures des lèvres de la bouche avide, retenant ondine près d’elle. Elles se laissèrent glisser le long du double menton, croisant H2 Odeur et sa petite famille, des gouttes de sueur en cavale ayant échappé au bandeau éponge. Toutes fuyaient vers une gorge profonde. Ondine était intriguée par des gouttes d’eau précieuse, de très jolies gouttes distinguées, élégantes. C’était H2 Odette, l’eau de toilette et ses filles. Odile bougonna :

- pff !! Des coquettes, des prétentieuses ! Il n’y a que l’eau de rose et celle de fleur d’oranger qui soient convenables !

- Sont-elles aussi belles que la lavande d’Olive ?

- Elles sont admirables, enivrantes ! Si on sort de ce guêpier, nous chercherons la Rose et l’Oranger.

Ondine rêvait, Odile cherchait une solution. Un jet puissant les fit sursauter ! La baronne était sous la douche, c’était le moment de se jeter à l’eau.

Une fois passées une petite grille de fer, elles pénétrèrent dans un monde angoissant. Méandres, lacis, enchevêtrement de tuyaux verdâtres formaient des dédales malodorants. De toute part, dévalaient des eaux souillées ! Il fallut donc suivre le chemin des eaux usées. Ondine, toute trouble, était malade. Odile se désespérait de trouver la sortie du cloaque quand une eau de vaisselle eut pitié :

- Salut gouttelettes ! Devriez-pas rester dans le secteur, y’a du gaz dans l’eau ! Allez dans le réservoir là-bas, y’aura bien quelqu’un pour vous aider !

Au grand soulagement d’Odile, H2O de Chaux mettaient de l’ordre dans cette vie souterraine où microbes et bactéries maltraitaient les malheureuses gouttes d’eau. H2O de javel soigna Ondine qui redevint limpide :

- Après la décantation et la filtration, vous sortirez par la stérilisation. Demandez H2Ozone de ma part et vous plongerez dans le fleuve.

Que c’était bon de retrouver l’air pur ! Ondine recouvrait sa vitalité. Elle frétillait, jouait avec la lumière qui satinait le vert pâle des ondes. La voilà repartie dans des quadrilles échevelés, rivalisant de vélocité avec les diaphanes libellules, se divertissant avec les zézayant moustiques qui lui narraient l’antique légende d’ancêtres qui avaient fui leur île de Barbade à cause de l’eau du même nom, cette maudite citronnelle ! Puis elle connut H2 Opaline, la goutte de rosée, une larme du matin, fille du brouillard et de l'aube. Odile suivait tant bien que mal! Un soir, une goutte ivre se cramponnant au goulot d’une bouteille lancée dans le courant, les importuna. C’était une eau de mauvaise vie, née d’une mère prune et d’un père alambic qui chantait à tue tête un chant de marin d’eau douce :…et yoooh oh ! Une bouteille de Rhum… ! Un matin, le fleuve s'étira, bouillonna et devint delta. La boule orangée du soleil émergea d’un horizon vacillant, éclairant un monde de beauté. Ondine fit connaissance avec H2O-Yi-Tseu, qui l’emmena visiter ses rizières. Entre les pattes graciles de timides créatures emplumées qui fourrageaient dans les vasières, des panicules inclinées où s’accrochaient de petits grains blancs, dodelinaient mollement. L’eau de la surface frissonnait dans l’étrave des cancanant colverts aux doigts palmés. Ondine se prélassa sous la caresse du soleil. Odile la ramena au plus vif du courant, en ronchonnant. Elles roulèrent dans le limon. La force rocailleuse, irrépressible du fleuve, les propulsa, voilà nos gouttes d’eau dans la mer ! Au milieu de dodues daurades, d’épineuses rascasses, de piquants oursins. En coursant les farceuses favouilles, Ondine bouscula H2Omar. Fin, raffiné, H2Omar venait d’Afrique. De fortes sentences illustraient souvent son langage. Il rattrapa Ondine en disant : « Ne cherche pas dans l’océan ce que tu peux trouver dans une goutte d’eau » ! Le cœur de notre romantique succomba. Omar l’emmena, Odile suivi.

Quel voyage merveilleux ! Ils arrivèrent un soir dans le delta où le Nil laissait aller sa colère en envahissant la terre. Ils circulèrent au milieu des papyrus bruissant pour pénétrer dans de somptueux jardins. Cascadant de bassin en fontaine, glissant sur des fleurs parfumées; ils suivirent des eaux chuchotant d’antique légende. Des réseaux compliqués de canaux les conduisirent vers les champs de bigaradier. Une fleur blanche, cueillie par le souffle tiède du soir voleta confusément pour s’installer précautionneusement sur la frange du bassin. Omar fit trembler pétales et étamines, alors la fragrance délicate vint enivrer Ondine. Cependant, Odile était inquiète:

- Maintenant que tu as vu la fleur d’oranger, il nous faut retourner au fleuve !

- Maintenant je dois voir la Rose ! Balbutia Ondine, plongée dans son rêve.

Brusquement, ils furent capturés et enfermés dans une outre en peau de bouc !

« Les méchants sont des buveurs d’eau » dit Omar fataliste. Pensif, il raconta qu’autrefois il avait été bu par une femme très belle. « L’eau est source de vie. C’est pourquoi elle coule des yeux devant la mort. » Il fut donc pleuré et se hâta de rejoindre les fontaines car « le cœur d’une femme est paraît-il aussi fuyant qu’une goutte d’eau sur une feuille de lotus. ».

- Ne perdons pas courage ! « L’eau prend inlassablement la forme du vase », approchons-nous donc du haut de ce sac, nous serons ainsi les premiers à sortir !

L’outre fut amenée dans l’enceinte d’une palmeraie. Un soleil aux mains de feu torturait une nature aride. Pourtant dans la basse maison aux volets clos un semblant de fraîcheur luttait contre les ardeurs de Râ. Dans la cour intérieure un verger déployait ses charmes. Au centre, un rosier érigeait une fleur somptueuse.

Nos trois O, serrés près de la sortie, chutèrent sur le bord frisé d’un pétale largement ouvert, un tapis velouté, soyeux, odoriférant.

- Vous voyez, « l’eau trouve toujours son chemin » ! Mêle-toi, belle Ondine, à ce parfum capiteux et délicieux ! Chuchota notre amoureux. Ondine se roule et se gorge des suaves exhalaisons. Hélas ! Rose, fleur de l’amour et de l’éphémère, frissonne sous l’ondée qu’elle reçoit. Dans la moiteur du jour qui flamboie, elle soupire et laisse s’envoler son doux pétale. Dans la chute, Omar bascule. Ondine et Odile le rattrapent mais le sable aux doigts crochus avide de fraîcheur, le désire et le tire inexorablement ! - « Le courage de la goutte d’eau, c’est qu’elle ose tomber dans le désert » ! Garde ce grain de sable en souvenir de moi, Belle Ondine, je t’aime ! Il disparut ne laissant qu’une minuscule tache sombre

« A travers le mince miroir du temps, les esprits de l’air et de l’eau, se confondent. »

Odile décida de ramener Ondine à son cher névé. Elles s’évaporèrent dans l’éther. Perdues dans la nébuleuse, elles progressèrent vers la lune ronde qui trônait dans le firmament. Compatissante, l’astre aux doigts dorés les poussa vers Bételgeuse qui les déposa sur une étoile filante. Dans les plis d’un voile galactique, la comète leur fit sillonner l’atmosphère. Sautant de rafale, en tourbillon, de tornade en bourrasque, elles voyagèrent dans la soie grise des nuages.

Autan, Mistral, Tramontane, Sirocco, tous se mirent de la partie pour les faire monter sur le gros cumulonimbus duveteux que les vigoureux blizzards se chargèrent de pousser vers les sommets.

Ah oui ! Il fut drôlement heureux, le vieux névé ! Quand Aquilon vint souffler délicatement près de lui deux charmants flocons, il pleura tellement que la crevasse de la combe se fissura complètement et enferma pour l’éternité deux merveilleuses goutte d’eau.

Voilà comment, moraines du sud, neiges fraîches et jeunes flocons, au cœur d’un vieux glacier, sommeille, depuis si longtemps, le secret de la vie terrestre, ces quatre éléments indispensables à toute existence.

Ondine petite goutte d’Eau serre sur son cœur meurtri, un grain de Terre du désert, l’Air odorant d’une rose et le Feu d’un dernier mot d’amour.

corinne