Destination : 294 , Ex île
La Liberté de l'Exil
Comme une parenthèse dans sa vie, Victor avait décidé de faire de son exil autre chose qu’une triste résignation. Lui, le grand écrivain, le vibrant poète, l’ardent défenseur d’une justice et d’une société plus humaine, n’allait pas se laisser submerger par une sombre mélancolie.
Qu’importe le temps que cela durerait - et cela allait durer près de deux décennies -, mais il était hors de question d’arrêter le combat pour un monde meilleur. Il n’allait pas, de surcroit, donner ce plaisir supplémentaire à ses ennemis ! Son départ était déjà bien assez…
Et puis, quelle valeur cela avait-il, au fond, d’avoir été banni par le Petit, ridicule sobriquet pour un ridicule personnage ? L’empereur pensait que son bannissement tuerait l’homme, mais lui, il savait bien que la Liberté ne meurt jamais.
Non, son exil, il l’avait choisi. Il était parti de lui-même, franchissant la frontière sous les habits et le nom d’un de ceux qu’il défendait le plus ardemment, un modeste ouvrier - il ne dirait jamais vulgaire -. Il ne pouvait en être autrement : il n’aurait pas été libre dans ce pays privé de liberté, renversé par un coup d’Etat opportun et mesquin. Or sa liberté, celle d’aller et venir mais surtout celle de penser et dire comme il l’entendait ; il la plaçait au-dessus de tout.
Sa voix forte et vibrante saurait se faire entendre, par-delà les montagnes, les mers, les censures. Sa plume ferait vivre ses idées. Il leur parlerait des Misérables, des Travailleurs de la mer, des Châtiments, il leur chanterait l’injustice et l’hypocrisie bourgeoise. Il fallait ouvrir les yeux sur les malheurs des enfants de France, ceux que la pauvreté laissait sur les routes, dans la rue. Ces années seraient même d’une inspiration exceptionnelle.
Accompagné de ses proches, sa famille, ses amis et sa fidèle Juliette, il avait posé l’ancre sur une terre d’ex’ile. De Bruxelles à Guernesey, en passant par Jersey. Il aurait pu céder au chant des sirènes et abréger son séjour loin de la France. C’eut été renier ses plus farouches convictions. Il partagera jusqu’au bout l’exil de la liberté.
Deux décennies… Il fallut une guerre, il fallut une défaite. A peine la République était-elle proclamée qu’il était de retour. Toujours le même, juste à peine vieilli, mais la même flamme.
Pendant quinze ans il allait continuer son œuvre, rester fidèle à ses convictions. Et au jour de sa mort, la foule nombreuse viendrait se presser sous les fenêtres de sa chambre. Son enterrement serait suivi par des milliers de personnes, venues de Paris et de province pour accompagner celui qui avait porté si haut et si belle la voix des plus faibles.
Il serait considéré, et pour de longues années, comme l’un des plus grands hommes de France.
« Fidèle à l'engagement que j'ai pris vis à vis de ma conscience, je partagerai jusqu'au bout l'exil de la liberté. Quand la liberté rentrera, je rentrerai. » Victor Hugo, 18 août 1859