Destination : 53 , Journal d'un disparu volontaire
traversée de l'océan
Traversée de l’océan
Je m’appelle Némot. Jacques Némot. Voilà. Némot, c’est mon nom, à présent. Je sais. C’est un pseudo bien visible, bien voyant, pour quelqu’un qui se veut transparent. Anonyme. Némot ! Pourquoi pas Personne, tant qu’on y est ? Qui n’a jamais lu Jules Verne ? Oui mais moi je ne suis pas capitaine. Juste sergent-major. Mon ancien nom ? Quelle importance ? Est-ce que je m’en souviens encore ? Disons… Nihilo. Sergent-major Némot, ex Nihilo. Je suis né de rien. Je suis un personnage de papier. Mes mots me créent, mes noms d’emprunt, mes noms de plume. Mes souvenirs, mes oublis, tous mes bagages, je les embarque dans mon Nautilus virtuel. Je mets à la nage. Je plonge dans l’océan des possibles, à la poursuite des trésors perdus, en quête de mon âme enfuie.
Ville. Jungle de murs aveugles, de fenêtres sans regard, de bidons crevés. Bidon-Ville. Bas-fonds jonchés d’épaves, de carcasses rouillées. Monstres abandonnés au hasard des dérives. Baraques de tôle, tas d’ordures. Grouillements de mouches, de gamins. Des relents de cuisine, de merde délavée par les pluies incessantes suintent des favellas. Bidon, sentine de l’humanité. J’y traîne mes godillots. Ils scandent un rythme de samba. A MSF ils ont bien voulu de moi. La misère est partout. Elle a besoin de bras. Un ancien médecin militaire, ça peut être utile. Je ne demande rien pour moi. Je n’ai besoin de rien. Un coin de terre où dormir, écrasé de fatigue, quand le sommeil veut bien de moi. Sommeil de plomb. Dormir, comme une mort. Trou dans l’eau qui se referme sur les cadavres engloutis. Dormir, mourir… Bienheureux oubli.
Dans les bas-fonds sordides je n’ai rien trouvé que ce que je fuyais. Dans la moiteur torpide de Bidon-Cité les visages livides, le viol, l’obscénité, la pauvre atrocité des damnés de la terre. L’enfer. Gosses prostitués, camés clamsés. Leur regard fou. Bestialité. L’enfer. Les filles égorgées. Leurs jupes relevées, leur ventre dénudé, ruisselant de sperme et de sang. L’enfer.
Je voulais de mes mains secourables épuiser la puante misère dans les égouts bondés. Je voulais expier. Je voulais oublier. Mes mains sur tes épaules, sur ton cou. Et tu riais, tu riais… « Pauvre imbécile, tu n’es rien pour moi, rien ! Tu n’es personne, tu entends ? Personne… »
Némot. Sergent-major Némot. Bon samaritain. Meurtrier. Mes mains secourables, mes mains serreuses de gorge. Ton rire étranglé. Je suis Personne.
Dormir. Mourir. Traverser l’Océan. Trou dans l’eau qui se referme sur les cadavres englout