Destination : 69 , Quatre murs et un toit*


Le petit galet


Le petit galet

Je sortis de l’océan, naïf et nu. Sans tache, innocent comme au jour de ma naissance. Les vagues me roulèrent sur le rivage, parmi des milliers d’autres moi-mêmes, ni plus beaux, ni plus gros, tous semblables.

Je ne sais pour quelle raison, une main me choisit, moi, galet parmi les galets, me retira de mon milieu naturel. J’atterris dans un panier d’osier. Je n’ai pas pleuré la perte de ma plage natale, car d’anonyme je devins une chose unique qu’une longue main féminine caressait. Elle me plaça sur une table, je servais de presse papier. Je crois que je m’acquittai honnêtement de ma tache, retenant les feuilles volages, toujours prêtes à suivre la direction du vent.
Parfois elle laissait son stylo en suspend sur sa feuille d’écriture, elle me regardait, perdue dans ses pensées, me parlait doucement, me caressait parfois et me donna même, un jour, un baiser d’amour.

— Crois-tu petit galet qu’il faut que je conte les histoires que j’invente et qui sont là dans ma tête ? Heureusement que tu es là, tu retiens mes idées.

Un jour pourtant elle se fâcha contre moi, parce qu’un courant d’air avait dispersé quelques feuillets de ses écrits. Ce n’est pas ma faute, elle ne m’avait pas placé à l’endroit habituel. Puis la confiance revint, je ne lâchais plus ses écrits, encore plus sévère dans ma mission.

Lorsqu’une petite main m’ôta de cette place, mon destin bascula et commença mes heures sombres. J’appris à mes dépens que le bonheur n’est jamais acquis. Il me roula à terre avec ses pieds et je glissai me cacher sous un meuble. Au début, je pensais que la main aimante me retrouverait et me replacerait là où elle m’aimait. Mais jamais elle ne revint, elle m’oublia sous le meuble. J’y restai longtemps perdu, dans la poussière.
Un jour, je revis la lumière car le meuble sous lequel j’étais caché fût enlevé. Je crus que je retrouverais mon poste sur le bureau, mais tout avait disparu, je restais seul dans la pièce vide. Puis des inconnus arrivèrent, me prirent sans ménagement et me jetèrent dans le ruisseau. Je crus que le courant me ramènerait à mon océan natal. Il n’en fut rien. Une main rugueuse, qui n’avait rien à voir avec celle de mon amour perdu, me souleva et me lança contre une vitrine de magasin. Une bijouterie je crois, où habitaient les pierres dites précieuses. Moi le simple galet roturier, je me demandais pourquoi j’avais atterri à cet endroit, parmi les diamants, les saphirs et autres pierres de nobles extractions ?
Sans doute, refusant toute promiscuité avec un caillou sans valeur, ils disparurent immédiatement, me laissant seul dans la vitrine.

Je n’y restai pas longtemps, je n’y avais pas ma place, une main gantée me souleva et m’observa de près, en disant que j’étais une pièce à conviction, je me retrouvai dans un sac. J’en ressortis devant un tribunal. C’était très impressionnant. Tout le monde me regardait et m’accusait d’avoir brisé la vitrine.

— Non monsieur le Juge, ce n’est pas ma faute si on m’a lancé là, ce n’est pas moi le coupable, je n’en suis que l’instrument.

Rien n’y fit, en tant que pièce à conviction, je fus condamné à rester enfermé à perpétuité dans une boite en carton dans les archives de la police.

J.F. Meslin





J François M