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Destination : 60 , S'il te plait, dessine-moi un mouton...

L'Empereur, sa femme et le Petit Prince

Un beau jour, l’Empereur, sa femme et le Petit Prince, ont décidé de partir en voyage. Ils ont donc été dans la meilleure agence de voyage de l’univers et se sont offert une semaine de croisière intersidérale grand luxe. Ils ont embarqué, avec leurs baluchons, à bord d’une fusée impériale quatre étoiles, propulsée par des réacteurs superpuissants. Ils ont dit « au-revoir » aux sujets de leur empire, constitué d’un parterre de roses odorantes et parfumées, et aussi un peu capricieuses parfois. Mais ainsi va la vie, et le Petit Prince en avait assez de tourner en rond dans un jardin fleuri : il voulait découvrir l’univers et surtout, il voulait un ami pour jouer avec lui.

***

Lundi matin, de très bonne heure, l’Empereur, sa femme et le Petit Prince sont arrivés sur la Lune. C’était une planète ronde et blanche comme un nuage. Après avoir éteint le moteur de leur fusée, ils entendirent de drôles de bruit qui venait de l’autre côté, sur la face cachée. Il ne leur a fallu que trois bonds pour y arriver, grâce à leurs impériales sandales à ressort spécialement fabriquées pour les randonnées extraplanétaires. Ils ont rencontré l’unique habitant qui était dans la Lune et qu’on appelait le Rêveur. Au moment de leur rencontre, celui-ci dormait et, en dormant, il émettait des bruits incongrus avec sa bouche et son nez. Le Petit Prince n’avait jamais entendu cela car évidemment, ses impériaux parents n’étaient certainement pas sujets aux ronflements. C’était ce bruit qui les avait interpellés et le Petit Prince, intrigué, s’approcha du dormeur pour l’observer de plus près. Il heurta une pierre de lune qui vint rebondir sur la bedaine du Rêveur.

- Aïe ! s’écria celui-ci en se réveillant en sursaut. Qui êtes-vous et que faites-vous là ?

- Bonjour monsieur, répondit poliment l’enfant. Je suis le Petit Prince et voici mes impériaux parents. Nous sommes en voyage pour découvrir l’Univers. Et vous comment vous appelez-vous ?

- Mais enfin, c’est évident ! Je suis dans la Lune, seul maître ici à bord, lunaire parfois mais jamais lunatique et j’ai l’honneur de me nommer le Rêveur.

- Oh quel nom étonnant ! Et que faites-vous tout seul ici ?

- Et bien… je travaille, vous le voyez bien !

Le Petit Prince eut beau regarder autour de lui, il ne vit rien, absolument rien en dehors du hamac attaché aux extrémités du cratère au bord duquel ils se trouvaient ; hamac dans lequel le Rêveur dormait. Mais comme c’était un petit garçon très poli, il n’osa pas contredire son interlocuteur qui, de plus, semblait sur le point de se rendormir.

- Et en quoi consiste votre travail ? Reprit-il, faisant sursauter le Rêveur.

- Je fabrique des rêves, comme mon nom l’indique.

- Pour quoi faire ?

- Comment ça « pour quoi faire » ? Pour les habitants de la Terre, pardi ! Et Dieu sait qu’ils en ont bien besoin surtout en ce moment avec cette histoire de confinement !

- Mais…

- … ta ta ta ta ta ! ça suffit maintenant, toutes ces questions. J’ai du travail, moi, et je ne peux pas me permettre de prendre du retard ! Alors, au-revoir et bon voyage !

Le Rêveur tapota son oreiller ventru, remonta sa grosse couette jusque sous son nez et se recoucha dans son hamac, en leur tournant le dos. Outrés de tant d’impolitesse, nos héros décidèrent de partir aussitôt pour aller explorer une autre planète.

***

Mardi matin, l’Empereur, sa femme et le Petit Prince ont atterri sur Mars, bien que cela soit techniquement impossible étant donné que l’on ne peut atterrir que sur la Terre. Mais ne nous encombrons pas de ces contraintes de langage car, au final, le résultat est le même : ils ont posé les pieds, toujours chaussés de leurs impériales sandales à ressort spécialement fabriquées pour les randonnées extraplanétaires, sur le sol martien. Aussitôt, un petit être vert accouru vers eux en soulevant la poussière de la planète rouge. Heureusement que personne n’était Daltonien !

- Bonjour, bonjour messsieurs-dames. Que me vaut le plaisir de votre visite ?

- Bonjour mons… mad… euh… ?

- Martin, je suis Martin le Martien !!!

- Bonjour Martin le Martien. Nous sommes en voyage d’exploration de l’Univers.

- Ah mais c’est formidable ! j’adore cette idée, j’adooore toutes les idées !!! Vous en avez d’autres ?

- Heu… pas vraiment. Et vous, vous faites quoi sur votre planète ?

- Mais rien, absolument rien, il n’y a rien à faire, rien à voir, rien à attendre. A part quelques tempêtes de sable, il ne se passe jamais rien ici. C’est le désert ! Je n’en peux plus et je n’ai même pas un aviateur en panne pour me dessiner un mouton vert !

- Ah… et vous vous ennuyez un peu ?

- Oui, je ne fais que ça à longueur de temps, et croyez-moi, le temps est long ici ! Mais vous allez rester avec moi, n’est-ce-pas ?

- Je ne suis pas sûr… moi, je veux découvrir des endroits magiques avec des paysages différents, pas toujours le même sable rouge qui colle aux sandales…

- Oui je vous comprends… merci d’être passé me voir en tous les cas. Et bon voyage !!!

Et voilà comment l’Empereur, sa femme et le Petit Prince sont repartis de Mars, en adressant de grands signes d’au-revoir à Martin, par le hublot de leur fusée impériale.

***

Mercredi matin, l’Empereur, sa femme et le Petit Prince ont découvert Mercure, une planète lisse et brillante comme du métal. Malheureusement, il était impossible d’y poser la fusée car le sol était liquide et mouvant. Ils se placèrent donc en orbite à proximité, en veillant à ne pas croiser la route d’un astéroïde ou d’une comète. Ils ont ensuite déplié leur grande échelle pour aller explorer cette planète à l’aide de leur canot pneumatique en caoutchouc titanique, particulièrement adapté pour résister et flotter sur toutes les surfaces liquides. Et ainsi, chacun pagayant gaiement, ils rencontrèrent le résident unique des lieux : le Chimiste. Celui-ci portait une longue blouse blanche qui lui tombait jusqu’aux chevilles. Il avait une barbe et les cheveux longs et grisonnants, de grosses lunettes de protection et un masque FFP2 qui masquait sa bouche et son nez. Chaussé de bottes volantes, il était occupé à survoler sa planète pour en vérifier les constantes, à intervalles très régulier. La température, la consistance, la couleur… rien n’échappait à son regard expert et dès qu’il repérait une anomalie, il sortait aussitôt de son sac à dos toutes sortes d’ustensiles en verre et de pipettes remplies de substances diverses et variées. Il faisait rapidement un mélange avant de le verser directement sur la planète qui retrouvait aussitôt son aspect normal. Malgré plusieurs tentatives, le Petit Prince n’arriva pas à communiquer avec le Chimiste. Celui-ci parlait une langue incompréhensible, faite de chiffres et de lettres et de signes arithmétiques. Bref, un charabia scientifique intraduisible en français !

Ils sont donc repartis en sens inverse, pagayant, puis remontant l’échelle avant de la rembobiner. Et les voilà de nouveau dans l’espace interplanétaire…

***

On était déjà jeudi matin, cela faisait quatre jours que l’Empereur, sa femme et le Petit Prince étaient partis de chez eux. Le voyage, certes hétéroclite, les avait jusque-là un peu déçus… Aussi furent ils enthousiasmés en arrivant jeudi sur la planète Jupiter, accueillis par une immense guirlande lumineuse scintillante d’étoiles et dont le message était on ne peut plus prometteur « Bienvenue sur Jupiter, la planète aussi solaire que le soleil ». Ici, tout resplendissait d’un éclat doré qui éblouissait le regard de notre impériale famille. Chacun dut donc chausser sur son nez sa paire de lunettes noires anti lumière et anti reflet et anti plein d’autres choses importantes d’ailleurs. Et ainsi, ils purent s’avancer vers le trône de l’habitant de la planète… :

- Bonjour chers visiteurs, je me présente, je suis le Président.

- Enchanté monsieur le Président. Vous êtes président de quoi ?

- Président de cette planète. J’ai été élu avec une majorité écrasante…

- … mais vous êtes seul ici ?

- Quelle importance ? je suis seul au pouvoir, seul à prendre les décisions, seul à voter des lois. Et comme je suis le seul à les appliquer, tout se passe pour le mieux !

- …

- Tenez, à l’instant, je viens de voter une loi autorisant les voyageurs étrangers à passer ma frontière, ce qui est une première, croyez-moi ! Et aussitôt : vous voilà, c’est incroyable !

- C’est surtout que vous nous avez vu arriver, dit à mi-voix le Petit Prince.

- Et comme je suis un hôte charmant, je vous invite à rester ici avec moi, jusqu’à ce que je décide que vous partiez.

- Comment ça ?

- Oui, vous verrez, ce sera formidable : je voterai des lois, et vous les appliquerez. Et si vous n’êtes pas d’accord, vous pourrez faire grève parce qu’on est en Démocratie, mais ça ne changera rien. Et si vous continuez à vous rebeller, je vous mettrai en prison.

- Mais ce n’est pas une démocratie, ça, c’est une dictature !

- Je suis le Président Unique et l’unique résident de cette planète : c’est moi qui décide.

Pendant que le Président s’énervait en tapant des pieds, l’Empereur, sa femme et le Petit Prince ont pris dare-dare la poudre d’escampette, avant qu’une nouvelle loi ne soit votée pour leur interdire de bouger. Ouf, ils étaient sauvés !

***

Vendredi matin, dernier jour de la semaine. Une petite ambiance de week-end commençait à se faire sentir et l’Empereur, sa femme et le Petit Prince découvrirent la planète Vénus. La petite sœur de la Terre. Il fait chaud, très chaud sur Vénus, et son altesse l’impératrice se dit que c’était le bon moment de sortir sa petite robe de plage. Elle n’oublia pas de tartiner son fils de crème solaire écran total surpuissant indice 500, et de le coiffer d’une casquette imputrescible. Et ainsi, ils purent se lancer à la découverte de Vénus, explorer ses vallées et ses montagnes pour se retrouver nez à nez avec la maitresse des lieux, occupée à se regarder dans un miroir :

- Bonjour Madame, dit toujours aussi poliment le Petit Prince

- C’est mademoiselle, jeune homme mademoiselle Mademoiselle. Bonjour quand même…

- Et vous vous appelez comment, mademoiselle ?

- Mademoiselle, je viens de vous le dire ! Répondit la jeune femme, un peu agacée…

Un long silence passa. Voyant que ses trois visiteurs attendaient sans rien dire, mademoiselle Mademoiselle daigna lever les yeux de son miroir :

- Votre robe est adorable, madame. Elle vient de chez qui ? Diar ? Chenal ?

- Heu… non. Je l’ai fabriquée moi-même avec des pétales de roses séchées qui poussent sur notre planète…

- Oui en fait cela ne m’intéresse pas, si elle n’est pas signée.

S’ensuivit un nouveau long moment de silence. Nos trois voyageurs dansaient d’un pied sur l’autre, n’osant interrompre Mademoiselle qui avait repris sa contemplation silencieuse. Au bout de plusieurs minutes interminables, elle poussa un long soupir :

- Bon, il est où mon cadeau ?

- Votre cadeau ? mais c’est que nous n’avions pas prévu de..

- Comment ça ? Alors ça c’est bien le comble. Vous venez m’importuner sur ma planète, m’interrompre alors que je suis très, très occupée et vous ne pensez même pas à mon cadeau ?

- … (nos trois amis se sentaient vraiment penauds).

- Eh bien alors, je ne vous retiens pas. Vous n’êtes que des malotrus ! Allez voir ailleurs, ouste, du balai !

Devant tant d’amabilité, l’Empereur, sa femme et le petit Prince reprirent leur route. Ils étaient légèrement découragés : trouveraient-ils un endroit acceptable et accueillant avant la fin de leur voyage ? Il ne leur restait que deux jours avant de rentrer chez eux…

***

Samedi matin, après une grasse matinée de circonstance, l’Empereur, sa femme et le Petit Prince ont atterri sur Saturne. Et sur Saturne, il faut savoir que ça tourne drôlement ! Un anneau dans un sens, un anneau dans l’autre, et ainsi de suite. Au beau milieu, campé sur ses deux jambes, le chef d’orchestre de cette partition millimétrée : se tenait El Señor Maestro. Habillé d’un costume de torero rouge et or, armé d’une baguette, il dirigeait cette symphonie avec une dextérité époustouflante. Nos trois voyageurs étaient sans voix et ne se lassaient pas d’admirer le ballet symphonique des anneaux de Saturne.

- Ne regardez pas trop longtemps, chers amis, vous risquez d’attraper le tournis. Et un tournis d’anneaux, c’est très mauvais : vous allez avoir mal au cœur, à la tête, un peu de fièvre, de la toux et quelques boutons rouges sur le corps. Ce serait dommage !

- Oh merci monsieur, mais c’est que ce spectacle est magnifique. Êtes-vous également le compositeur de cette symphonie ?

- Oui parfaitement, et j’en suis très fier ! Tous les 29 ans, à la fin de l’année saturnale, je change de thème. Il me faut des mois et des mois pour arriver à tout régler, à coordonner les anneaux les uns après les autres, ajuster le mouvement de chacun et harmoniser l’ensemble. Tout doit être régler aussi précisément qu’une horloge ! Mais une fois que c’est en place, quelle merveille ! Il ne me reste plus qu’à veiller au bon déroulement de la pièce…

- C’est un travail extraordinaire !

- Merci de vos compliments. Mais, et vous-même, que faites-vous ici ?

- Nous sommes partis depuis le début de la semaine en exploration spatiale. Car je m’ennuyais sur notre planète et j’avais envie de découvrir l’Univers pour rencontrer de nouveaux amis.

- Des amis ? Oh mais alors, je ne peux que vous conseiller la Terre ! Ils sont nombreux là-bas, vous arriverez bien à croiser quelques personnes sympathiques !

- Merci du conseil, Maestro, et bonne continuation !

- Merci les amis, au-revoir et bon voyage !

Les voilà donc repartis, espérant cette fois que leur dernière journée de vacances serait la bonne !

***

Dimanche matin, après une bonne nuit à bord de leur fusée tout confort, l’Empereur, sa femme et le Petit Prince se sont donc rendu sur la Terre. Ils ont atterri près d’une grande ville recommandée par leur guide touristique si l’on voulait manger les meilleurs croissants pour déjeuner. Et là, quelle déception ! Les rues étaient quasiment désertes et les rares habitants qu’ils croisaient s’enfuyaient dare-dare à leur approche… Ce fut la boulangère qui leur expliqué la situation, le visage caché sous un masque chirurgical et protégée par une vitre :

- Oh, mes pauvres amis mais vous tombez bien mal ! Nous sommes en plein confinement à cause d’une saleté de virus qui s’attaque à tout ce qui sort de chez lui ! Vous ne trouverez personne en ce moment pour boire un verre avec vous… et en plus, tous les cafés sont fermés alors ! Moi je vous conseille de repartir chez vous, vite vite avant d’attraper cette maladie et de la ramener sur votre planète..

Entendant cela, le Petit Prince éclata en sanglot.

- Je n’aurai jamais d’amis, ce n’est pas possible !!!

Ces parents essayaient de le réconforter mais impossible : le désespoir de l’enfant était inconsolable. La mort dans l’âme, ils repartaient vers leur fusée quand une voix se fit entendre :

- Mais que se passe-t-il ? Pourquoi cet enfant est-il si malheureux ?

De surprise, le Petit Prince s’arrêta de pleurer. Car c’était la première fois qu’il entendait parler un animal, en l’occurrence il s’agissait là d’un joli petit renard roux aux oreilles pointues et au regard malicieux.

- C’est que nous sommes venus sur Terre spécialement pour que je me fasse des amis et, avec cette confinerie, impossible de rencontrer qui que ce soit !

- Effectivement ce n’est pas de chance… et je ne vois pas bien comment je pourrais t’aider.

- Eh bien… tu pourrais être mon ami ?

- Impossible.

- Pourquoi ?

- Parce que je ne suis pas apprivoisé. Mais tu me donnes une idée… Tu vois le panneau là-bas ?

- Celui où il est écrit S.P.A en grand ?

- C’est exactement cela ! Et bien vas-y, il y a là-bas des dizaines de chiens, de chats et même d’autres animaux qui sont tous seuls et qui seraient ravis d’avoir une vie meilleure.

- Oh merci Renard, quelle bonne idée !

Aussitôt dit, aussitôt fait. L’Empereur, sa femme et le Petit Prince entrèrent dans le refuge où ils furent accueillis par des aboiements et des miaulements joyeux. Deux heures plus tard, ils repartaient avec : deux petits chiens dont la race était impossible à déterminer mais plein d’énergie et adorant jouer, un vieux chien de chasse qui serait un compagnon de promenade pour l’Empereur, une chatte et les trois petits chatons qu’elle venait de mettre bas. Et même, madame l’Impératrice s’autorisa une folie : elle emporta deux rossignols dans une cage, pour les relâcher dans son jardin fleuri afin d’égayer la planète de leur chant.

***

L’empereur, sa femme et le Petit Prince sont rentrés chez eux, ravis de leur voyage. Ils avaient des souvenirs à partager pour les longues soirées d’hiver et de nouveaux compagnons pour leur offrir leur amitié.

Evidemment, les petits chiens eurent quelques portées, de même que les chats et les rossignols. Evidemment, il fallut que les roses leur fassent un peu de place… il faut dire aussi que tout ce petit monde mettait enfin un peu de vie sur la planète !

Le Petit Prince était très heureux et grandi ainsi. Un jour, bien des années après, il repartirait en voyage pour chercher non plus l’amitié, mais l’amour. Mais ce serait une autre histoire…



myriam