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Destination : 396 , En Prison !

Enfermement

Charlie n’est pas prisonnier à proprement parler mais, au final, c’est tout comme. Prisonnier de la blancheur qui l’environne. Blancheur des murs, des sols et des plafonds aseptisés ; blancheur des blouses qui surveillent ses moindres mouvements ; blancheur des draps sur les lits alignés dans le dortoir des garçons.

Plus tard, quand il aura passé cinquante ans, Charlie dira même à ses petits-enfants de son âge qu’il ne savait pas que l’adolescence pouvait être si colorée. Noir des chagrins, rose des amours naissantes, rouge des colères, bleu des vacances, jaune de l’amitié…

Charlie a quinze ans. Cela fait trois ans qu’il réside ici. Du 1er janvier au 31 décembre, pas un jour de sortie. Parfois, sa famille vient le voir mais sa famille vient de loin, et puis il a de nombreux petits frères et sœur, alors ça coute cher. Alors, ils ne sont pas là souvent.

Au-delà des murs blancs, derrière les vitres fermées, il y a la montagne. Charlie ne sait pas si on doit dire « la » ou « les » montagnes. Pour lui, les pics qui s’élèvent dans le ciel lui semblent une muraille de plus, faite d’un seul bloc. D’ailleurs, en hiver, les montagnes et même le ciel sont blancs.

Charlie ne peut qu’imaginer les chemins dessinés sur les pentes rocailleuses, sous les arbres touffus, le long des torrents et des cascades qui grondent. Cette liberté dont il ne peut que rêver a pour lui quelque chose d’animal. Elle est dans le vol des rapaces dans le ciel ; dans la course des Isards, dans le frémissement des ailes d’un papillon. Il n’arrive même pas à lui donner une image humaine.

Plus tard, quand Charlie aura quarante ans, avec ses enfants, il explorera les chemins de montagnes, pour la respirer, la sentir vivre sous ses pas. Il sillonnera toutes les montagnes du monde, sauf celle-là.

Pour l’instant, Charlie s’évade dans les livres. Il en lit deux à trois par semaine. Heureusement, la bibliothèque est remplie d’ouvrages qui lui offrent des voyages inoubliables et des aventures fantastiques.

Il écoute la musique diffusée dans les haut-parleurs. Du Bach, du Mozart, du Chopin… il aime ces mélodies mais il aimerait bien aussi connaitre ces chanteurs à la mode dont tout le monde parle à l’extérieur. Tout comme il aimerait bien pouvoir aller au cinéma…

Plus tard, quand Charlie aura trente ans, il emmènera sa femme danser le samedi soir, ou bien au cinéma voir les films qui sortent, surtout les films américains. Tous les films américains.

Bien sûr, Charlie n’est pas tout seul. Ils sont une cinquantaine comme lui, à vivre dans cette prison blanche à l’odeur de désinfectant. Et autant de filles, dans l’aile d’en face. Ils se croisent parfois, le matin, quand ils vont en salle de soin. Les garçons partent quand les filles arrivent et, dans le couloir, certains échangent des regards, parfois même un petit papier serré au creux du poing fermé.

Ils ont tous sensiblement le même âge, le plus jeune a presqu’onze ans et le plus âgé a dix-sept ans. Certains restent là quelques jours, d’autres plusieurs années : tout dépend de la gravité de la situation et de son évolution. Ils viennent de toute la France et partagent un même passager clandestin, blotti au chaud de leur poitrine : le bacille de Koch.

Plus tard, quand Charlie aura vingt ans, il sera sorti depuis trois ans. Mais il pensera toujours à ses longues années d’adolescent…

myriam