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Destination : 409 , Mites au logis

Mythe au Logis

CHAPITRE 1



C’est le grondement du chat qui m’a réveillée brutalement. Je me suis redressée sur mon lit, hagarde, ne sachant plus très bien ni où j’étais, ni quand. Et là, j’ai aperçu dans la pénombre de la chambre, une silhouette floue, comme évaporée, dressée au fond de mon lit.

Le temps d’enfiler mes lunette pour éclaircir ma vision (ma myopie est très forte, je dois le reconnaitre), je pus constater qu’en effet, il y avait bien quelqu’un au pied de mon lit, debout, me regardant avec un regard insistant.

Elle (car c’était une femme, aucun doute là-dessus) ne disait pas un mot, ne faisait pas un geste, juste me regarder. Alors que mille questions se bousculaient dans ma tête (Qui êtes-vous ? Que faites-vous là ? Comment êtes-vous entré chez moi ? Que me voulez-vous ?...), étonnamment, je me suis entendue demander :



- Quelle heure est-il ?



Question qui m’est aussitôt apparue comme totalement incongrue… un vieux réflexe pavlovien d’ancienne insomniaque, ai-je pensé. Cependant, pour autant, l’absurdité de cette interrogation a provoqué une réaction chez mon intruse qui a semblé, pour le coup, plutôt décontenancée par cette entrée en matière.



- Heu… je ne sais pas vraiment… je ne suis pas très au fait de vos organisations temporelles… c’est plutôt le domaine de Chronos, chez nous, mais il est indisponible depuis pas mal de temps maintenant…



Autant vous dire que cette réponse ne m’a guère avancée, et plutôt même embrouillée, car je ne connaissais aucun Chronos. Peut-être s’agissait-il d’un célèbre horloger dans le pays d’origine de ma visiteuse nocturne ?

Réveillée pour réveillée, j’allumai la lumière afin de mieux l’observer. Elle était vêtue d’une robe de chambre qui avait dû faire fureur dans les années cinquante, sous laquelle j’apercevais ses jambes nues chaussées d’espadrilles lacées à la mode spartiate. Mais le plus étonnant était le casque qu’elle tenait sous son bras, quelque chose entre un casque de pompier et celui d’un hussard. En fait, ce casque aurait dû me mettre la puce à l’oreille, maintenant que j’y pense. Mais mettez-vous à ma place, après ce réveil brutal, je n’avais pas les idées très claires.

J’ai donc allumé la lumière et attrapé ma montre sur la table de nuit. J’ai cru tomber à la renverse (heureusement, j’étais encore assise dans mon lit !) : il était quatre heure du matin ! Je comprenais mieux la colère du chat, grand amateur de grasses matinées et de siestes prolongées pour s’en remettre…

Je n’ai pas pu m’empêcher de m’exclamer :



- Non mais ça va pas, de réveiller les gens comme ça en pleine nuit !

- Heu… pardon… je ne sais pas…



Elle semblait vraiment étonnée par la tournure que prenait notre discussion, à vrai dire, je me rends compte maintenant que c’était un peu bizarre, en effet, bien que sur le moment, rien ne m’interpella, ni dans sa présence chez moi, ni dans ma réaction à cette intrusion. Je décidai de prendre les choses en main et repoussai ma couverture en grommelant :



- Bon, réveillée pour réveillée, autant boire un café ! Suivez-moi !



***

Cinq minutes plus tard, nous étions toutes les deux face à face dans ma cuisine, perchées sur des tabourets devant une tasse de café fumant qu’elle regardait d’un air perplexe. Je me demandais, à cet instant et avec le plus grand sérieux du monde, si elle n’était pas tombée de la lune, tant ses réactions à ce qui nous entourait étaient étranges. Seul mon chat, remis de ses émotions grâce à quelques croquettes, semblait la rassurer. Il avait élu domicile sur ses genoux (le moelleux de sa robe de chambre devait y être pour beaucoup, à mon avis) et elle caressait son poil soyeux avec autant de ravissement qu’il recevait ses attentions.

Je laissais passer quelques minutes, espérant qu’elle reprenne ses esprits et puisse m’expliquer qui elle était et ce qu’elle voulait. Comme rien ne venait et que je ne voulais pas passer le reste de ma nuit à nous regarder comme des chiens de faïence, je me lançai :



- Alors, racontez-moi tout !



Au moment où je terminai ma phrase, je me rappelai l’avoir entendue la veille. C’était une réplique du film que j’avais regardé, une comédie américaine très, très moyenne dans laquelle le héros passait son temps chez un psy pour lui parler de ses amours tragiques).

Mon interlocutrice but une gorgée de café et manqua de s’étouffer (allons bon !). Elle avala difficilement sa gorgée en regardant sa tasse avec dégoût (mon café était-il si mauvais ?) puis commença ses explications :



- Voilà, je ne sais pas trop par où commencer parce que, à dire vrai, je ne me rappelle plus pourquoi je suis là… je crois que le voyage entre nos mondes m’a déboussolée…



Allons bon, nous voilà bien parties, me dis-je. Elle doit souffrir du décalage horaire… je lui demandai donc, d’une voix aussi douce que possible :



- Pour commencer, pouvez-vous me dire qui vous êtes, tout simplement ?

- Je suis Athéna, fille de Zeus, grand maître de l’Olympe…



Alors là, je suis obligée de faire une parenthèse pour que vous visualisiez bien comment les choses se sont passées. A ce moment-là de notre conversation un brin décousue, la jeune femme gauche et empruntée que j’avais face à moi a complètement disparue. Elle se redressa fièrement, parla d’une voix claire et assurée, avec une telle majesté que je ne pensais pas une seconde à mettre en doute ses propos. Mon incompréhension portait par contre sur un autre point crucial (Non, ne riez pas, cette question n’est pas aussi superficielle qu’il y parait…) :



- Mais si vous êtes une déesse, pourquoi êtes-vous attifée comme ça ?

- Mais, Héra m’a assurée que c’était ce que les humains portaient la nuit…

- Ben, il y a soixante ans peut-être mais regardez-moi, on a quand même évolué un peu depuis, non ?



Elle ne parut pas convaincue par mon pyjama en flanelle rose avec un joli lapin blanc pelucheux sur le devant. Effectivement, si elle était habituée aux robes immaculées ceinturées d’or et retombant sur le sol en drapés harmonieux, il y avait de quoi faire la moue qu’elle me présentait. Je décidai donc de changer de sujet.



- Enfin passons. Ce n’est pas très important, je suppose que vous n’êtes pas venue pour parler de mode, sinon ce serait Aphrodite qui serait là…



Mon trait d’humour ne fit rire que moi et elle me répondit très sérieusement :



- Je suppose que non, mais comme je ne sais pas pourquoi je suis là, c’est compliqué…

- Alors reprenons depuis le début. Quels sont vos derniers souvenirs ?

- Bien. Je me rappelle que nous étions tous chez Poséidon au fond des océans, pour fêter l’anniversaire de mon père…

- Quoi, vous fêtez les anniversaires, vous aussi ?

- Et oui, répondit-elle avec un petit sourire timide, nous avons adopté quelques coutumes amusantes des humains. Il faut dire que depuis que nous avons été relégués aux oubliettes mythologiques des divinités par le monothéisme, on s’ennuyait un peu. Alors voilà, quoi… on n’avait pas envie de finir comme des vieilles statues poussiéreuses et manchotes…

- Donc, vous étiez en train de vous amuser avec tous les dieux de l’Olympe ?

- Oui, c’est ça… mais attendez, je sais pourquoi je suis là, c’est le mot que vous avez dit !

- Lequel : Amuser, dieux ou Olympe ?

- Amuser ! Laissez-moi vous expliquer : la fête battait son plein, tout le monde dansait sur la piste, tandis qu’Apollon mixait sur ses platines…

- Quoi ? Il ne joue plus de la Lyre ?

- Oh, non, il trouve ça ringard… il est passé aux tables de mixage maintenant, c’est plus fun !



Pendant notre conversation, je notais que son vocabulaire humain, semblait un peu daté. Aujourd’hui, qui utilise des mots comme « ringard » ou « fun », à part des anciens jeunes des années 1980 ou 1990 comme moi ? Je décidais cependant de ne pas relever ce détail, pour le moment, et l’invitait à poursuivre son récit :



- Donc tout le monde se trémoussait sur la piste de danse et moi, j’étais comme d’habitude, assise toute seule dans mon coin, avec ma chouette sur l’épaule et mon casque sur les genoux quand les filles sont venues me trouver…

- Les filles ?

- Oui, Héra, Aphrodite et notre cousine Isis, l’Egyptienne. Elles aiment bien s’amuser toutes les trois et je dois dire que là, elle avait un sacré coup d’hydromel dans l’aile… Moi c’est tout le contraire : je ne sais pas danser et je n’aime pas avoir le cerveau embrouillé par des boissons enivrantes, je trouve que c’est ridicule et infantile.

- Hum…

- Donc les filles sont arrivées et elles ont commencé à ma taquiner, à me dire que c’était trop triste d’être sérieuse comme ça, que vu l’éternité de misère qui nous attendait dans l’oubli des hommes, j’allais devenir aussi délabrée qu’une ruine antique. Bref, elles étaient très en forme. Au bout d’un moment, je me suis énervée et je leur ai dit que si, moi aussi j’étais capable de m’amuser mais pas comme une débile, que je préférais les jeux intelligents.

- Et alors ?

- Alors, elles ont éclaté de rire et m’ont lancé un défi : apprendre à m’amuser en allant étudier auprès des experts en la matière, sur Terre.

- Quoi ?

- C’est ça, je suis là parce que je dois apprendre à m’amuser.



Je restai bouche bée. En la voyant là, installée dans ma cuisine, dans sa vieille robe de chambre et avec mon chat sur les genoux, il ne lui manquait qu’une tisane dans sa tasse de café froide. Je me dis que c’était pas gagné... il y avait du pain sur la planche !

myriam